la voile
marbre 1976 h.48cm


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20 juillet 2007


" l'intérieur "

   Avec l'art moderne, dans la sculpture et la peinture des corps, spécialement du nu, la restitution de l'intérieur n'est-elle pas passée d'un sens morphologique concret à une dimension purement abstraite ?
Depuis la Renaissance jusqu'à la fin du XIXe siècle, les peintres et surtout les sculpteurs se devaient d'avoir appris et mémorisé la morphologie interne des corps (le squelette, les muscles, la chair), telle que la restituait la pratique de la dissection ; celle-ci, depuis Michel-Ange, fut longtemps pratiquée (1). C'était une sorte d'obsession du dessous : pas de figure sculptée sans faire poser un modèle déshabillé, pas de nu sans écorcher la peau et entrer à l'intérieur du corps. (Pratique d'hommes, on se demande si ce n'était pas aussi leur obsession des dessous de la femme, de son intérieur).
Lorsque arrive le XXe siècle, tandis que les sculpteurs et peintres modernes se désintéressent de la figure (et de la beauté féminine), qu'ils font de moins en moins poser des nus, et qu'ils ne pratiquent jamais plus la dissection, paradoxalement ces artistes et les propos sur l'art se sont faits bavards pour répéter ce qui serait une caractéristique de la modernité : l'impératif de savoir rendre l'intérieur, comme si cette maîtrise de l'intérieur était la condition pour que le motif gagne de vérité, de force, de profondeur, etc. (Cela, évidemment, par différence avec les rendus estimés plats et superficiels).

Depuis longtemps, en essayant de comprendre cette modernité, ma question : de quel intérieur s'agit-il, de quelle qualité de profondeur ?
Je dirais aujourd'hui : une fois abandonnée la longue Tradition classique de l'intérieur-dissection et du modèle dénudé, l'artiste moderne n'a-t-il pas sublimé cet impératif ? Ne s'est-il pas convaincu de bien faire en se pénétrant des soi-disant vertus de l'intérieur, mais en forme abstraite, en forme de profondeur - pour ne pas dire en dimension spirituelle d'intériorité, alors même que c'était le partis pris de laïcité qui caractérisait ces artistes, par différence avec les Renaissants ?

(1) " Pour respecter le rapport (des membres d'un corps) lorsqu'on peint des êtres animés, il faut d'abord en esprit placer en dessous les os… il faut ensuite que les nerfs et les muscles soient attachés à leur place…il faut enfin montrer les os et les muscles revêtus de chair et de peau…. Peut-être que certains m'objecteront… que le peintre ne doit en rien s'occuper des choses que l'on ne voit pas. Ils auront raison, mais de même que lorsque nous faisons un personnage habillé il faut d'abord dessiner un nu que nous draperons ensuite de vêtement (soit la démarche de Rodin avec son Balzac), il faut d'abord disposer les os et les muscles que tu recouvres légèrement de chair et de peau, de façon que l'on comprenne sans difficulté où sont les muscles " (Alberti. De la peinture - cité par G.Didi-Huberman dans Ouvrir Vénus. Gallimard 1999, p.38).