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Il y a 40 ans, en août 1977
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passent les ans et repassent à mon attention ces trois années sensibles et tant d’autres moments
de mon passé - passe et repasse ce long vécu qui fait la richesse et consistance de ma présence
aujourd’hui – de ma présence à jamais – gratitude confiante : tant de visages et rencontres,
tant de ‘chauds au cœur’, puisqu’à mon sens : ‘le réel c’est l’amour, c’est ce qui nous fait vivre’.
78 ans
En avançant dans l’âge et devinant proche ma fin, quel n’est pas mon étonnement de constater
combien mon enfance m’est de plus en plus vive et présente – précieuse, cette enfance où mes souvenirs
s’attachent à en chérir les visages et en raviver l’aménité des jours, tandis que s’en dissipent
et amortissent les duretés... Un ami de Saint-Exupéry disait de lui :
« Si sa personnalité était si exceptionnelle, c’est qu’il n’y avait jamais eu de rupture
entre l’enfance, dont il avait gardé toute la fraîcheur, tout le sens du merveilleux, et la maturité
de l’âge adulte » (le ‘Petit Prince’ dont je parlerais prochainement). A vrai dire, je ne sais
pas trop moi-même ce qui m’a marqué de mon enfance et qui perdure ; je dirais volontiers la candeur
et la confiance d’être aimé, mais l’intelligence interrogative et critique, alors même que devait se
forger ma force de volonté dans ce qui m’a été éprouvant, la guerre, la mort et surtout mes très violentes
crises d’asthme – telles que j’en parle en tête de ce site :
‘Lorsque dans la nuit de ma chambre d’enfant, je rêvais sur les grains de poussières qui entraient,
graines de lumière, dans le rayon du soleil filtré par l’entrebâillement du volet….’ . Au plus positif,
je dirais encore, j’y pense souvent, cette calme confiance dans laquelle l’enfant de 11 ans, lors de son
premier camp scout sur un plateau sauvage de Lozère, parcourut seul deux kilomètres dans la nuit, avec pour
repère une étoile précise dans l’immensité du ciel… Dirais-je que cette disposition d’attention confiante
à mon étoile ne m’a jamais quitté ?
Profondeurs du ciel, profondeurs de mon enfance, comment ne pas remonter aussi à ce qui excède
mes souvenirs, et me rendre ainsi contemporain de ma petite enfance, de ma naissance, et, infiniment au-delà,
de ma conception (cf. 20 du mois, mars 2007). « Nous naissons en permanence » dit Edgar Morin
(Connaissance, ignorance, mystère. Fayard mars 2017). Et plus encore, une fois entraînée cette disposition
d’attention et recueillement à l’intime, comment ne pas me mettre en harmonie et résonance aux mystères
de ma propre réalité humaine (ne serait-ce qu’en visitant Lascaux) – me savoir à l’aboutissement de dizaines
de milliers d’années d’hominisation, d’avènement du langage et de l’art – me savoir de la créativité vivante,
de la force créatrice au cœur de toutes les espèces vivantes - me savoir d’une réalité corporelle, cervicale,
biologique, cellulaire, atomique qui remonte à des millions d’années depuis les mammifères, à des milliards
d’années depuis la vie, aux cinq milliards d’années de notre terre, jusqu’à l’éclaté de nos milliers de
galaxies en leur origine – me savoir de cette « émergence de la réalité » (de ma réalité aujourd’hui)
dont Edgar Morin dit qu’elle « se poursuit en permanence à partir de constituants microphysiques dénués
de localité et où notre temps et notre espace sont inexistants » (id. p.37). 40 ans
Il y a 40 ans, en août 1977, dans la vallée de la Clarée, à proximité du torrent de mes marbres,
avec un outillage extrêmement rudimentaire, j’ai eu grand plaisir, grande aisance à tailler mes
trois premiers marbres : la Voile, Gravide et la Caille des blés - alors même que dans les champs
voisins j’entendais une caille répétait son appel plaintif – ce même petit cri bref où résonnait
mon propre état d’inquiétude. L’évidence était bel et bien de découvrir l’aisance et l’aptitude
avec laquelle je maîtrisais cette sculpture. Toutefois de retour à Paris, comme pour refouler
cette prise de conscience heureuse, je rangeais ces marbres à la cave, et ce furent ensuite trois années
qui entamèrent sérieusement mes forces et mon moral, jusqu’à un séjour en maison de repos,
jusqu’à ce que je me traine sur mon lit, dans notre nouvel appartement où mes trois marbres se dressaient
fièrement sur le meuble, le long du lit ; ils m’interpellaient clairement : ‘c’est toi qui a fait ça’.
Au pire, en juillet 1980, un point de pneumonie me contraignit à l’hôpital à Aix ; on craignait le pire ;
mais aussitôt après je montais tout droit au torrent pour prendre une ‘moisson’ de marbres que j’allais
tailler tout l’été au bord d’un autre torrent, près d’une maison familiale à Seyne-les-Alpes.
L’évidence de cette redécouverte de mon aisance à la sculpture était telle que j’étais décidé,
en rentrant à Paris, de trouver un atelier. Et voilà que le 18 octobre, le jour même où, après
une psychothérapie de groupe, mon psy m’avait donné rendez-vous pour commencer une psychanalyse,
je trouvais mon premier petit atelier à la Villa Corot. La sculpture allait me prendre en force
et faire œuvre analytique, bien mieux que le divan – la main, et par là la tête.
5 ans Depuis la mort de mon épouse, infiniment chère, voilà 5 ans que paradoxalement je suis habité du silence de sa présence – du chérissement de son sourire, son visage. Et voilà que cette même attention de ma part, me donnant confiance et chaud au cœur, voilà que ce même recueillement d’être aimé et d’aimer s’est propagé sur d’autres de mes proches relations, parents, amies et amis – dans le silence de leur amour – tant ceux qui ont disparus dans la mort, que ceux que les éloignements de nos vieillesses me retiennent ‘endormis’ – car les voilà terrés, comme enterrés, dans nos longues, longues étendues de vieillesses modernes. Passent les ans, passe le temps et bientôt pour moi l’espace, mais qu’en est-il de notre réalité profonde en son émergence et la créativité incessante de la vie, où selon le savant, il n’est plus ni temps ni espace ? Qu’en est-il de la présence éternelle de vie et d’amour qui nous habite ? ‘Le réel c’est l’amour, c’est ce qui nous fait vivre’ : ‘le vécu de telle et telle présence aimante et aimée’ que je ne cesse de remémorer. |