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La Rose et le Petit Prince, tels qu’ils sont présentés dans l’introduction de La Pléiade, m’invitent à m’expliquer quelque peu sur l’importance des femmes dans ma sculpture. Si je suis sensible à cette invitation, c’est parce que l’œuvre de Saint-Exupéry est, depuis 60 ans, ma lecture préférée après la Bible, et parce que, l’une comme l’autre (spécialement Citadelle et Le Petit Prince) elles entretiennent une part de fiction poétique et d’histoire racontée, qui résonnent bien avec ce que j’ai exprimé tacitement dans ma sculpture : entre fiction-rêve et réalité de la femme.
Commençons donc par cette introduction du Petit Prince. Je cite :
« Rose, Renard, Serpent nous font quitter, mais à peine, le monde
humain pour celui symbolique et habituel au conte comme à la fable,
d’une nature où plantes et animaux parlent et jouent à ressembler aux
hommes. D’une personne humaine, la Rose a la beauté ‘miraculeuse’. Elle
éblouit le petit bonhomme qui s’attache à elle d’un sentiment très
fort. Leur amour rend relatifs et caducs la qualité végétale de la
Rose, tout comme le jeune âge du garçon. Ils agissent dans cette
rencontre, elle comme femme, lui comme adulte. La fiction dans laquelle
ils sont présentés ne sert qu’à donner plus de force et de charme à
leur attraction réciproque. La psychologie de la Rose est pourtant
aussitôt percée à jour par le Petit Prince sans qu’il se détache d’elle
pour autant. Elle est coquette, peu modeste, vaniteuse, ombrageuse,
menteuse et, pour tout dire, bien compliquée…. La Rose est là en
représentation. Mais qui représente-t-elle ?
Reste à préciser le contexte historique de l’écriture du livre : le Petit Prince est né à New-York, au creux d’un hiver de la Seconde Guerre mondiale. Exilé, sérieusement abîmé par un accident d’avion, passablement découragé par la défaite et les mésententes des français aux USA, Saint-Exupéry venait d’écrire ‘Pilote de guerre’ : le récit poignant de la France dans la débâcle – un récit qui lui fut demandé pour sensibiliser l’opinion américaine à la cause de la France – une ‘voix de la Résistance’ qui eut un grand retentissement aux USA avant leur engagement. Dans cette même époque sombre, Saint-Exupéry avançait ‘Citadelle’ : sa grande méditation, à base de métaphores, sur la condition humaine - sa ‘Citadelle’ du désert. Or c’est bien là, dans le désert, que le ‘Petit Prince’ est venu rejoindre le pilote d’un avion tombé en panne. Car c’est à ce retour à son enfance que l’homme découragé sut ranimer son moral. Un de ses grands amis disait de lui : « Si sa personnalité était si exceptionnelle, c’est qu’il n’y avait jamais eu de rupture entre l’enfance, dont il avait gardé toute la fraîcheur, tout le sens du merveilleux, et la maturité de l’âge adulte » . En avril 1943, une fois remis son manuscrit à son éditeur américain, il se réengagea en Tunisie, jusqu’à sa mort en vol, sans connaître le succès de son ‘Petit Prince’ : aujourd’hui le livre le plus édité au monde après la Bible ! *
Les dernières lignes de l’introduction ci-dessus me touchent au cœur dans
ma démarche de sculpture.
‘La Rose n’est rien que la Rose, c’est-à-dire toutes les femmes, mais
aussi tous les hommes’….
Le jardinier et ‘sa belle rose, symbole de son amour pour les hommes’ ; tout son
effort étant de ‘magnifier en dépassant’.
Reste que chez Saint-Exupéry, il s’agit d’un récit et d’images, en forme de fiction poétique, qui racontent les rapports entre le Petit Prince et sa Rose : ce sont des mots qui viennent dire les sentiments de l’un et de l’autre, spécialement les débats du Petit Prince. Dans mes rendus sculptés de la femme, ce ne sont que des expressions incarnées de la femme, sans que je la fasse parler et sans que je dise rien de moi. Toutefois une certaine éloquence est manifeste par la diversité de ces rendus sculptés, qui sont des centaines, toujours différents et singuliers, jamais répétés - là où la Rose du Petit Prince est unique. Quelle est alors l’unicité de la femme dans ma sculpture ?
« Il arriva que le petit prince, ayant longtemps marché à travers les
sables, les rocs et les neiges, découvrit enfin une route…. ‘Bonjour’
dit-il. C’était un jardin fleuri de roses. ‘Bonjour’ dirent les roses.
Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes à sa fleur.
‘Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il stupéfait. – Nous sommes des roses,
dirent les roses. – Ah’ fit le petit prince… Et il se sentit très
malheureux. Sa fleur lui avait raconté qu’elle était seule de son
espèce dans l’univers. Et voici qu’il en était cinq mille, toutes
semblables, dans un seul jardin… Puis il se dit : ‘Je me croyais riche
d’une fleur unique, et je ne possède qu’une rose ordinaire’... Et
couché dans l’herbe, il pleura. »
Parlons clair : qu’est-ce que ma sculpture dans ma vie ? Si je signe mon
nom en tête du site : michel coste, sculpture, c’est pour mettre
en avant ma sculpture comme acte, ma vie. Autre ma sculpture comme
œuvre, qui découle de cet acte de vie – ces œuvres qui peu à peu
s’accumulent, s’enrichissent, sans que je sache vraiment la portée et le
sens qu’elles peuvent prendre pour d’autres et qu’elles pourront prendre
demain, sans que je m’en préoccupe. Seul m’importe d’être vivant, d’être en
acte (‘Au jour le jour, chemin faisant’ disait Braque) : dès lors
que je suis saisi de désir et plaisir à aller une création nouvelle après
l’autre, me laissant entraîner et séduire par l’attrait de beauté que
j’éprouve en mettant en forme une motte de terre ; et combien plus (ma
sculpture première, mon école) le goût fort et le plaisir qui me
poursuivaient en entreprenant un bloc de marbre du torrent, avec ce défi
d’en dégager peu à peu la beauté latente de ses formes sauvages et ses
veinage : la séduction, l’attrait, le charme, le ‘chien’, l’indéniable
plaisir de m’ingénier à correspondre et m’accorder à une donnée complexe et
‘pas évidente’ au départ. Rencontre tout à fait singulière, unique.
« A ma connaissance, me disait Jean de Bengy en 1992, je ne sais pas de
démarche de sculpture semblable à la vôtre ».
Qu’en est-il alors de ma sculpture comme œuvres ? Pour moi, ce sont
autant de sculptures passées dont je ne veux pas encombrer l’avancée de ma
vie, de ma création vivante. Certes, elles me rappellent qu’elles sont
venues de mes mains ; mais paradoxalement il m’importe de les oublier
(différence avec la Rose du Petit Prince), car il m’importe de ne jamais
répéter, mais d’avancer, et donc de me disposer à la rencontre singulière
et nouvelle qui me sera donnée, création unique, comme m’y entrainaient mes
marbres. Ce qui ne m’empêche pas d’être conscient que ces œuvres, une fois
détachées de moi et ne m’appartenant plus, ne sont là que pour se donner à
d’autres, pour vivre pour eux (‘Un bon tableau ne cesse de se donner’ disait Braque) ; car
n’est-ce pas pour cette dépossession que je m’y suis adonné ?
De plus, j’ajoute ce que cette sculpture comme œuvres m’a obligé : 1° obligé à aménager un espace propre pour la présenter (aujourd’hui quelques 600 pièces, dont 100 marbres, 180 couples et 170 femmes en terres et bronzes). 2° obligé à des rangements des moules de bronze et des modèles. 3° enfin, un aspect inconnu des sculpteurs d’autrefois, elle m’a obligé à ses rendus en images, en 2D : les prises de vue, puis l’archivage de photos et leur diffusion, les cartes postales, l’archivage numérique, le site internet. Enfin faut-il redire la portée et le sens que je souhaite pour cette sculpture comme œuvres : 1° je sais qu’il faut compter avec le temps, la temporalité de la reconnaissance de cet art – là où ma sculpture est encore confidentielle, très en marge des modes ; 2° je sais que malheureusement notre époque a rabaissé le goût et l’estime de l’art, en n’y voyant essentiellement qu’argent, profit et réussite ; 3° alors que par différence (j’insiste sur ce point) j’en escompte un tout autre impact et sens : l’essentiel de ma sculpture étant le message positif d’une célébration de la vie, dont la femme est l’expression dans son bonheur d’être aimée et d’aimer (Rejoignant ainsi ce que Jeef Koons vient de dire de son bouquet de tulipes au Trocadéro : ‘au lieu d’un acte de violence, je veux au contraire proposer un acte d’amour’ … - à croire qu’en sculpture les temps changent en bien !). Sculpter, pour moi, est ma façon propre d’exprimer, d’incarner l’amour – selon la chance qui m’a été donnée : au visage et au corps de la femme. PS Si on retient ces mots de Saint-Exupéry : ‘Aimer, ce n’est point nous regarder l’un l’autre, mais regarder ensemble dans la même direction’, il convient de lire la suite : ‘il n’est de camarades que s’ils s’unissent dans la même cordée, vers le même sommet en quoi ils se retrouvent..’ (Terre des hommes p.276). Chez lui, son expérience première des relations humaines, c’est son vécu d’homme à homme, la camaraderie, l’équipée de pilotes, quitte à délaisser sa Rose, sa Consuelo. L’amour qui me tient au cœur est tout autre : il est de se ‘ regarder l’un l’autre’ avec une femme aimée, baignés ainsi d’infini. |