"désirs inconnus"

     Cette expression m'est venue en rédigeant l'invitation à visiter mon atelier lors de portes ouvertes : "De quels temps reculés, à ma rencontre tu viens à jamais plus proche..." disait Tagore. De quelle longue patience et désirs inconnus ai-je frayé ma voie : ma sculpture, une danse incessante et sans bruit, frêle ressourcement à vivre, embrasement, l'émouvance même de la vie... " ?
     Voilà le contexte précis où j'emploie cette expression : je l'avais lue dans un poème de Lorand Gaspar, et j'avais en tête l'aveu de Philippe Jaccottet, autre vieux poète, dans son recueil, 'Ce peu de bruits' : "Plus je vieillis, plus je croîs en ignorance ; plus j'ai vécu, moins je possède et moins je règne".
     Avec l'âge, plus on avance en connaissance, plus on croît en ignorance, et de même les désirs qui se creusent d'inconnus et s'enveloppent de mystères : les désirs sont de moins en moins focalisés sur tel besoin, tel manque, comme le vivent enfance et jeunesse ;

d'une nuit sans fond h.36cm 97
       salves d'avenir L.37cm 82
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certes ils s'attachent à telle et telle présence, telle beauté, tel objet, tel lieu, mais tout en entretenant ces focalisations, ces polarités, force est de reconnaître que ne cesse de croître et de s'approfondir la part d'indéfini qui amplifie mes désirs, mes aspirations, mes rêves, mes souvenirs, etc.
     Si nous parlons d'absolu, par exemple, en termes de connaissance et en termes de désir (selon l'adage, 'si jeunesse savait, si vieillesse pouvait') : jeunesse croit que Dieu existe, ou estime qu'il n'existe pas ; vieillesse est au-delà de ce partage ; jeunesse se voue à tel absolu ou le rejette ; vieillesse savoure la donne de la vie tellement plus large et complexe, et par là tellement plus précieuse. Autre exemple : vieillesse s'attache à tel visage aimé, tout en le reconnaissant insaisissable et hors de son atteinte ; il aime d'autant plus cette présence qu'il en devine et désire l'inconnu.
     Car n'est-ce pas d'avoir savouré et éprouvé le connu, qui a amplifié et enrichi, avec l'âge, la part d'inconnu ?