Marianne à la flamme
   marbre 03 h.32cm

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d'une terre de générosité

   Le charisme de l'Abbé Pierre était-il d'un autre temps - hiver 54 ? Il nous fait prendre conscience d'une époque révolue - une époque où la générosité des êtres avait un autre sens qu'aujourd'hui, et sans doute, de ce fait, une époque où l'art avait une autre portée, un autre sens ?
   Nous sommes entrés progressivement dans une société d'abondance, à la fois inquiète et imbue. Mais beaucoup de ceux de la cinquantaine et au-delà gardent sourdement enfouie, dans un lointain passé, une disposition qui était autrefois largement partagée : où ils étaient nombreux les hommes et les femmes de cœur et de courage, traversés par des moissons de générosité, celles des luttes à la guerre, dans la Résistance, celles des luttes pour les acquis sociaux, du Front populaire, des diverses militances, des communistes, des chrétiens, celles des bénévolats toutes causes, celles des ferveurs aux avancées du progrès, celles des abondances d'enfants comme grand vent de fleurs, celles des hommes et femmes qui par centaines de milliers vouaient leur vie à quelque sacerdoce : enseignants, personnels soignants, prêtres, religieuses... Autant de terres qu'on ne saurait dire être devenues ingrates parce qu'elles sont aujourd'hui délaissées - et pourtant qu'elles furent belles ! Et combien demeurent-ils de douloureux partages de sentiments à l'état discret : l'honneur de combattants, la fierté de résistants, la perplexité de communistes, le passé de sacerdoces… Combien de formes de silences, de lourds silences de la déconvenue!
   Or n'étaient-ce pas autant de terres et d'entrailles de générosité par lesquelles l'art entrait en résonance, suscitant, dans cette résonance singulière, l'émouvance, l'admiration, l'enthousiasme, le surpassement à se donner plus encore ? Que l'on songe au mot de Camus qui serait incompréhensible aujourd'hui : "l'art, la transcendance de l'homme par rapport à lui-même".

   Selon un évolution banale, j'ai connu, comme bien d'autres, ce dessaisissement, cette déprise, ce non-lieu du coeur, cette révision critique. D'où la recherche patiente, persévérante, tenace, de remettre autrement en jeu, en plein-jeu les heureuses harmoniques dont je suis fait. Ma chance fut la sculpture : en m'y adonnant aussi fortement, je n'ai fait que donner autrement de cette générosité viscérale.