Braises sous cendres

On dira de mes écritures et sculptures qu'elles entretiennent le naïf et le rêve quant à la femme et aux 'amours'. C'est vrai. Mais sans doute dois-je expliquer à quel niveau des êtres j'essaie de me tenir, dans quelles virtualités, quelle pédagogie. Les duretés de la vie, les souffrances et les tourments du monde sont là, imparables, accablants quand j'y pense, obsédants lorsque je lis, j'écoute ou regarde les infos, lorsque je me plonge dans l'histoire, lorsque je suis atteint moi-même. Selon le Tao « Tout homme porte sur son dos les ténèbres et serre dans ses bras la lumière ». Difficile équilibre à tenir entre la conscience du mal et la sérénité intérieure, la confiance. Qu'en est-il alors de mon art, écriture et sculpture ? On dit que l'art devrait être le reflet et le témoin des duretés du monde. En réalité, vaille que vaille, c'est mon propre équilibre qui se cherche et s'aventure, et par là, j'espère, un art reflet et témoin, parce que s'étant mis à l'écoute de ces duretés pour en faire entendre ce qui s'espère d'humanité, d'harmonie, de bonheur, de beauté latente. Telle l'écoute étonnante de Françoise Dolto, la psychanalyste. Qu'en est-il du regard et du toucher du sculpteur ? Sculpteur, je suis aux prises avec une matière aux fortes résonances charnelles, je suis épris de corporéité, et par conséquent attentif à ce qui se joue dans les relations amoureuses. Je regarde et touche. Toute ma réflexion devient phénoménologique, essayant de comprendre ce qui se joue, ce qui est vécu depuis le corps et par le corps. Pour ce qui est des 'amours', on sait et on présume beaucoup, beaucoup de duretés, d'égoïsme, de violences, de déconvenues, de solitudes, de dépits. Mais chaque fois, en ces 'amours', qu'est-ce qui est touché des corps et des coeurs ? Chaque fois, ce sont des sensibilités exposées, des chairs dénudées, mises à vif et qui, par là même, espèrent tant soit peu, invoquent et aspirent à d'harmonieux accomplissements. Chaque fois s'inscrit en creux ou par défaut, chaque fois est ébauché en désir, en manque ou en échappée, chaque fois on peut entendre ce que disent virtuellement ces êtres 'faisant l'amour', on peut saisir ce qui est signifié, on peut deviner ce qui est parlant, tels qu'ils sont faits en leurs corps - une corporéité qui interpelle directement le sculpteur, véritable défi. Eh bien, c'est à cette éloquence sous-jacente, profonde et latente que j'essaie de me tenir, comme Mozart dans sa 'Flûte enchantée'. J'apprécie plus que tout le contentement des gens qui découvrent mes figures de femmes et de couples comme l'expression de leurs désirs meilleurs, de ce qu'ils n'ont pas encore osé et qui leurs semble si vrai. Je pars, je parle de la première expérience d'humanité, celle qui, depuis des millions d'années, nous constitue hommes et femmes. Je pars de ce que l'amour de femme a bouleversé en moi. Et je suis là, à tenter de ranimer le feu, à reprendre les braises sous cendre, tout à l'espère de ce qui se désire profondément dans les relations amoureuses. Voilà mon art : témoin des duretés de la vie, vaille que vaille j'entretiens et ranime, comme braises sous cendres, la part de naïveté sous-jacente au gris et terne des amours - ce frêle ressourcement à vivre qui n'est pas prêt de s'éteindre et qui se rappelle sans cesse - braises, embrasures, embrasements.

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Maya - Lorsque le vent se lève

Maya
bronze 2007 h.80cm
Lorsque le vent se lève
terre 2007 h.100cm