La tradition japonaise appelle sculpteur l'homme qui cherche dans les lits de rivière des pierres de belle venue - à la grâce de l'eau. Si haut que remonte mon enfance, serait-ce ma première démarche ? Ma Durance ! Aujourd'hui ce qui dure et qui danse, dans le lit d'un torrent qui roule, érode et affouille des blocs de marbres emportés du flanc de sa montagne. Des beautés rudes et sauvages comme lui, des "marbres naturels" venus d'une veine métamorphique particulièrement vigoureuse dans les gris-bleus et les rouges. C'est dire qu'après ces années et millénaires du lit de l'eau et du sein de la terre, je n'apporte que la dernière main. Non pas la main qui crée dans une masse indifférente de glaise, mais la main qui a l'audace de correspondre au sauvage d'une nature déjà là - la main qui vient au monde. Se laissant séduire et se jouant de la pierre donnée, de ses formes et veinages et contraintes. Donc la sculpture en taille directe, sans plan préalable, sinon deviner; sans dessin préparatoire. Sans répéter l'approche et le style de la pierre précédente. Mais chaque fois comme au commencement, il s'agit de répondre à chaque nouvelle pierre pour l'inventer dans sa forme unique, pour donner à l'aventure sa chance, laisser venir, m'adapter progressivement, dégager son meilleur parti, son allure heureuse, jusqu'à la faire pleinement ressortir et qu'elle se tienne belle comme si cela lui était venue d'elle, comme si cela lui était propre et naturel - rendue à elle-même. Et qu'on me dise de mes marbres que ce sont de beaux galets, étonnants de diversités, que je me suis contenté de polir. De caresser.


l'envol
marbre 1985 h. 64 cm
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