Aucune photo de mes sculptures ne saurait tenir en regard de
ces propos qui ne sont pas ceux d'un artiste frustré, mais clairement réaliste.
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20 mai 2007
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mondialisation du marché de l'art mondialisation de la création
Comme petite rivière affluant au grand fleuve, comme fleuve à la mer, nous entrons, depuis quelques années, dans un phénomène sans précédent : la mondialisation, à commencer par la mondialisation économique. Or il semblerait que, près 30-40 ans avant, celle-ci ait été précédée par la mondialisation du marché de l'art (dans ses valeurs hautes), et par la mondialisation de la création correspondante (en peinture et sculpture).
En termes de création, ce fut et c'est toujours " l'avant-gardisme international " qui suivit, en France, le " Nouveau Réalisme " des années 50-60 - soit la dernière singularité française, exposée actuellement à Paris.
En termes de marché, ce fut la prééminence de grandes salles de vente (avec New-York et Londres pour épicentres), des expositions internationales (Biennales, FIAC…), des choix d'artistes d'envergure internationale (et dont la nationalité ne compte plus guère) en toutes opérations d'aménagement faste (le tramway de Paris…) ; on remarque aussi les surenchères de fondations (Guggeneim, Pinaud…), sans compter les éclatements des Musées (Le Louvre à Abou-Dabi) et des prêts de collections qui, dans les valeurs classiques, redoublent et confortent ce phénomène de mondialisation de valeurs récentes.
Pour cela, plus que jamais, les produits d'art reconnus sont de pur artifice, arbitrairement consacrés, sans rapport avec une objectivité esthétique, sinon les discours qui les légitiment ; et plus que jamais les artistes de ce marché ne sont que de tristes pantins. Il faut et il suffit qu'il y ait un concours d'intervenants de haut niveau et de grands moyens pour que tel ou tel artiste soit côté dans cette Bourse de l'art. Ils sont alors quelques centaines dont la particularité est l'homogénéité de style - de même que la mondialisation uniformise ses produits de grande marque.
Par différence avec les stars du foot, qui gagnent aussi des millions mais dont le public amateur apprécie objectivement leur qualité de jeu, les artistes côtés en Bourse peuvent jouer n'importe quoi, car ils n'ont d'autres critères de qualité esthétique que ce qui est reconnu - non, ce qui est décrété " valeur d'art " par le Marché de l'Art. S'il y a près d'un siècle que l'urinoir de Duchamp a ouvert ce " nouveau régime " du pur arbitraire, il est facile d'en suivre l'histoire et de comprendre qu'un tel monde aberrant s'est d'autant mieux généralisé et il a d'autant mieux fonctionné que la culture esthétique commune a été longuement défaite à force d'être choquée et abusée : le goût, l'intelligence, le sens critique, l'éducation à l'art…. Autre Chtchoukine qui découvrait Matisse et Picasso il y a un siècle à Paris, autre le Russe d'aujourd'hui qui cherche à placer sa richesse dans ce que les professionnels du Marché de l'Art (les gardiens du Temple) vont lui garantir comme Valeurs d'Art.
Les conséquences sont redoutables. D'abord la perte des identités nationales : la perte des foyers de création ayant une singularité locale. Lorsque Malraux était Ministre de la Culture, il pouvait mettre à l'honneur et faire valoir des fiertés françaises : Maillol, Braque… (Même si s'étaient déjà amorcées de premières dérives sur le marché américain et par là l'international : De Staël vendu par Dubourg à New-York, Brancusi vendu de même par Duchamp… - puisque l'auteur de l'urinoir savait parfaitement reconnaître et placer les vraies valeurs).
Une génération après Malraux, que peut faire un Ministre de la Culture français ? Il ne peut que constater l'étal des produits d'art qui ne valent que parce qu'ils sont internationaux, constater leur médiatisation toute puissante, constater que ce marché est international et que son cours se compte en millions. Impuissant pour l'essentiel, opérant à la marge et sous la loi du plein artifice et de l'arbitraire, il ne peut que suivre, en essayant de pousser le business pour que de nouvelles valeurs issues de France accèdent à cette Scène. (A ce titre on a remarqué l'insignifiance de l'exposition " La Force de l'art " en 2006 au Grand Palais, sous la volonté du Premier Ministre et à coup de millions - rien que le titre disait clairement l'enjeu).
Autant le courtier ou le mécène d'il y a un siècle ou un demi-siècle (Chtchoukine avec Matisse et Picasso, Dubourg avec de Staël) pouvait prendre le risque de promouvoir un artiste parce que la dimension subsidiaire nationale avait encore sa pertinence, son efficace… autant le courtier ou mécène d'aujourd'hui est complètement dépassé par cette nouvelle donne qui est d'emblée mondiale. Car il s'agit d'une donne qui ne marchera au niveau local qu'après avoir été consacrée au niveau international. Tel le Maire de Paris choisissant les artistes de son tramway, tel Christie's escomptant quelque Russe pour vendre un Bacon de 3,5 millions - des ordres de prix où les amateurs français ne se comptent même pas sur les doigts d'une main.
Autre conséquence redoutable : l'effet d'entraînement. Combien de gamins s'adonnent au foot en rêvant d'être un jour comme Zidane, de gagner comme lui ; combien d'artistes se conforment connement aux modèles des valeurs consacrées. Moutons de Panurge.
Plus grave encore, plus ravageur : un tel fonctionnement de l'art dans ses " hautes valeurs " mondiales est condamné à l'inertie. C'est dire que les " avants gardes " de la création signent l'impossibilité d'avancer. J'y vois deux raisons.
1° Conforté et nivelé à ce niveau mondial, le conditionnement de la mode est devenu un tel plis d'habitudes, une telle ornière qu'on voit mal comment les roues du Carrosse vont arriver à s'en sortir ; je redis ici la façon dont la culture de l'art a été longuement défaite à force d'être bafouée et abusée (l'éducation, la sensibilité, le goût, l'intelligence, le sens critique), alors que dans le même sens, des vieilleries indigentes d'il y a 50 ou 100 ans, sont toujours entretenues avec fierté comme des " fers de lance " de la modernité.
2° Reste la raison principale : c'est dans l'émulation de foyers de créations différents et concurrents (des aires culturelles, des places, des capitales, des pays…) que l'ensemble de la création d'art a toujours progressé ; il y a donc fort à craindre que l'uniformisation mondiale va figer le progrès. Comment une voix singulière pourrait-elle se faire entendre dans une telle émission sonore uniforme ? Comment un Ministre de la Culture et tout son personnel, tous ses relais (FRAC, DRAC, Expositions, Musées, Ecoles...)… pourraient-ils opérer pour changer la donne, sinon en poussant tant et plus dans les valeurs de plein artifice qui s'apparentent (ou qui ont des chances de s'apparenter) à cette sonorité mondiale (tel le pot en or de Raynaud devant Beaubourg, le résumé de l'Art Moderne français) ?
Certes toute la création d'un pays comme la France et tout son marché de l'art ne se réduisent pas à cette " maestria ", à ce maelström de la mondialisation. Sans prétendre décrire ici ce niveau subalterne, force est de constater que son fonctionnement est inévitablement dévalué par le stars-système qui occupe la scène (avec toute la puissance médiatique) ; il est inévitablement infléchi, entraîné et bloqué par cette folle imposture... Jusqu'à ce qu'il ne reste plus, à la diversité des pays, que de produire et mettre sur leurs marchés, des produits du folklore pour touristes.
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