N.B. J'exposerai mon atelier
lors des 'Portes ouvertes' du 14e ar.
les 13 et 14 juin de 11h à 20h
au 2 rue d'Arcueil



20 juin 2008 : l'impact des Psaumes
20 août : l'art grec
20 octobre : l'art d'Afrique Noire
20 novembre : Béatrice et Laure
20 décembre : Le Penseur de Rodin
20 janvier 2009 : la propension des choses en Chine
20 février : les pierres en Chine et au Japon
20 mars : pierres en Inde
20 avril : pierres dressées / stèles / autels en Occident

20 mai : stèles funéraires d'aujourd'hui

20 juin : un musée du galet
20 juillet : désir / désert
20 août : que m'apporte la Loire
20 septembre : une sculpture pour un hôpital

N.B. prochainement sur ce site un archivage des meilleurs 20 passés.

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     Paris La Défense. Vous remontez la dalle de ce quartier d'affaire jusqu'à la Grande Arche. Le paysage de tours vous domine de toutes parts. Formidable démonstration de puissance. Impression de fierté. Affirmation d'un progrès sans limite puisque de prochaines tours, encore plus hautes et plus grandes vont s'insérer entre les autres ou les rénover (1). Vous montez les trois volets d'escalier de la Grande Arche et franchissez cette immense porte en apothéose jusqu'à aborder, de l'autre côté, en contre bas, dans un étrange silence, le revers désolant à droite du 'nouveau cimetière de Neuilly', et à gauche du 'nouveau cimetière de Puteaux' que tente d'escamoter une dernière poussée de tours. Comment ne pas être saisi par ce butoir imparable, inévitable, infranchissable, sauf l'autoroute souterraine ? Pourquoi personne ne parle de ce contraste aussi brutal et sans transition ? La ville des morts, d'une platitude, d'une indigence lamentable, succédant au triomphe de la ville des vivants. La chute dans la mort au terme d'une formidable montée en puissance jusqu'à la grande 'Porte du Ciel'. L'anachronisme de l'aménagement funéraire d'antan contre la force et beauté de la modernité. L'entassement pavillonnaire des défunts, et sa morne répétition, contre les grandes tours de la 'vie active', chacune d'esthétique originale. Et parmi elles, auprès de l'Arche, parfaitement dans le ton, le Pouce de César, 12m de hauteur, 18 tonnes de bronze - l'érection par excellence.
     Il y a 3-4.000 ans en Egypte, l'investissement sur les monuments des morts était inverse : pyramides obélisques, temples... - soit indéniablement un attrait touristique dont par ailleurs sont friands les gens de La Défense. Depuis un siècle en France, depuis 60 ans, la démocratisation du funéraire et sa désuétude, mais aussi l'aubaine, le pactole du marché des marbriers... ont peu à peu écrasé l'espace des morts au plus plat, extensif, répétitif, consumériste : caveaux, dalles et plaques-stèles par milliers. Soit finalement les derniers restes d'un hommage aux défunts durant 15 ou 30 ans, puis leur discrète 'réduction' à néant ; où on peut s'expliquer la préférence qui gagne pour l'incinération immédiate.
     C'est dire que les stèles funéraires d'aujourd'hui en France ont quasiment perdu toute raison d'être, toute éloquence, sinon toute signification. Autre époque, autre fonctionnement avec les défunts. Sachant que l'impératif des aménagements urbains (type la Défense) et l'insolence du marché funéraire ont bel et bien doublé et accompagné l'abandon progressif des rites et pratiques de la mort - pratiques et croyances religieuses comprises. D'où ce contraste saisissant du triomphe de cette société d'affaire, La Défense, et du reliquat du cimetière d'antan, de part et d'autre de la Grande Arche. La ville de Neuilly et son cimetière.

     Après notre grande page d'histoire sur les pierres dressées, les stèles et autels (le mois dernier), comment conclure sur ce constat désolant de notre modernité ? Sans doute qu'il n'y a pas grand chose à dire de plus, sauf les quelques mots que j'y consacre dans mon site (p.30 à 35). Mais sculpteur, je reviendrais quand même sur le Pouce de César parmi les tours de La Défense : modèle de la sculpture actuelle, nous en mesurons la dérision et le porte-à-faux, le cynisme... ? Car en notre époque, il reste à savoir si le conditionnement des stèles funéraire et leur mise en marge ne concernent pas tout autant la sculpture, elle aussi mise en marge ou œuvre de dérision. Où trouver aujourd'hui l'éloquence juste ?


(1) Une nette faveur pour les tours : n'est-ce pas la caractéristique du paysage urbain que les dix équipes d'architectes donnent du " Grand Paris " - le projet du Président de la République exposé depuis le 29 avril à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine ?


haute mer
marbre 1990 h.57cm