20 septembre 2010 : le Cantique des cantiques
20 octobre : sculpture et création
20 novembre : signifier, désigner
20 décembre : quelle phénoménologie ?
20 janvier 2011 : activités esthétiques et religieuses dans l'évolution humaine
20 février : l'impact des psaumes (réécriture)
20 mars : le langage du toucher, de la caresse (réécriture)
20 avril : sacraliser l’art, c’est l’interdire au plus grand nombre
20 mai : les aquarelles de mon grand père : Coste-Linder


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N.B. Avec les 'Portes ouvertes des ateliers' du 14e ar. de Paris, mon atelier vous accueillera le 12 mai 2012 de 14h30 à 20h et le 13 mai de 11h à 19h.



Depuis quelques temps, un très beau site Internet court parallèlement au mien, celui des 500 aquarelles de mon grand père : coste-linder.com/accueil. La prochaine sortie d’un album papier de ce panorama d’aquarelles, m’a conduit à écrire une présentation de ce peintre qui va être jointe à son site et à cet album. Voilà ce texte que je viens d’achever.

Camille Coste-Linder

    Grand coloriste des paysages de Provence dans les années 1920-1930, des paysages de campagne, des paysages bâtis... Camille Coste-Linder a laissé 500 aquarelles à ses trois enfants, et par là aujourd’hui, à la trentaine de petits-enfants et arrières petits-enfants. Pour eux il s’agit d’un héritage de famille qui, avec le temps, allait se disperser, se perdre, sachant qu’ils ne pourraient plus apprécier cette œuvre de leur père dans son ensemble – ce ‘patrimoine’ pour leur fierté et admiration.
    Il fallait ressaisir le tout avant qu’il soit trop tard - donner à l’aventure sa chance : chacun apportant son trésor, toutes les aquarelles furent photographiées (Michel Coste), traitées numériquement à trois niveaux de mémoire (Emmanuel Coste), ensuite le tout fut composé dans un panorama d’ensemble par unités de dates, de lieux et de thèmes (Michel Coste), suivi de sa mise en page en support numérique (Pierre et Jean-Louis Coste), pour son élaboration en site Internet (Pierre Berchebru), en CDRom et enfin l’impression sur papier (Michel Coste). Résultat : d’une part, la cimaise d’un écran numérique qui se déroule sur 28 pages (sur Internet : coste-linder.com/accueil), d’autre part, l’album-papier en tirage limité, au format A4 ou A3 - l’œuvre pérenne.


    Puisque cet ouvrage résulte des apports des enfants du peintre, il convenait que chacun y retrouve ses propres tableaux, les majeurs comme les mineurs . A cela s’ajoute une autre raison d’exhaustivité : la preuve que l'oeuvre de ce peintre est remarquable par son unité de qualité au sein même de la diversité. De plus, dans un premier inventaire, mieux valait tout avoir, sachant que des éditions ultérieures feront la sélection, lors d'une exposition par exemple. Outre un carton de dessins préparatoires non photographiés (et pour partie perdus dans un incendie récent), seuls une quinzaine de tableaux faisant doublon n'ont pas été retenus dans le panorama; dans la version numérique, ils apparaissent, en double, avec un chiffre qu'il suffit de cliquer pour les restituer - une chose que ne permet pas la version papier. Sans compter les tableaux extérieurs à la famille, vendus ou donnés.


peintre aquarelliste

    Camille Coste (1874-1944) : depuis une double formation au dessin, celle d’écoles de beaux-arts et celle de l’Ecole d’Ingénieur en bâtiments et travaux publics, cheminot à la SNCF (PLM à l’époque), responsable de la construction de nouvelles voies ferrées, il pouvait mettre à profit ses itinérances et déplacements pour dessiner et peindre les paysages à son goût. En poste à Marseille, de 1907 à 1919, puis à Toulon, puis à Valence, il s’établit enfin à Aix, en 1927, avec sa retraite de 54 à 70 ans. Dessinateur-constructeur d’abord, ses aquarelles sont à base du dessin au crayon, sinon même le détour des plages de couleurs avec de légers traits d’encre. Chose rarissime pour un jeune peintre, dès 25 ans, en 1899, il est abonné à la Revue d’Art « The Studio », et on l’imagine bien, dans les années 1920, à la quarantaine, venir à l’art de l’aquarelle « plein d'usage et raison ».

    The Studio Magazine was an illustrated fine arts and decorative arts magazine, founded in Britain in 1893, which exerted a major influence on the development of the Art Nouveau and Arts and Crafts movements. The Studio promoted the work of "New Art" artists, designers and architects.

    Outre six petites peintures à l’huile réalisées à Marseille (vers 1915), son oeuvre prend véritablement forme avec l’aquarelle, durant ses vacances sur la Presqu'île de Giens, à La Capte (de 1917 à 1929); ensuite le pays d'Aix prend le relais (à partir de 1927). Somme toute, La Capte représente le quart de l'oeuvre, le pays d'Aix, le tiers. Disons, pour notre panorama : la mer en horizon d'ouverture, et Sainte Victoire en finale. Une double constante : le goût de la Provence chez cet Ardéchois d’origine, l’alternance de campagne et de bâti chez cet ingénieur en construction (par différence avec Cézanne qui ignore sa ville, son magnifique panorama depuis l’atelier des Lauves).
    Car de part en part, la professionnalité du dessinateur constructeur est là, le coup d'oeil très sûr et audacieux, la main qui dresse un paysage ou une ordonnance bâtie, le soin et l'exigence dans le choix des papiers et le choix des couleurs (lesquelles tiennent bien 80 ans plus tard). Mais à la professionnalité, il joint le goût, l'imagination, la fantaisie du trait, la pleine indépendance, jamais aucun suivisme d’une école ou d’un maître – ‘un peintre qui n’aime pas les sentiers battus’ disait-on de lui lorsqu’il exposait au Grand Palais en 1933 (au Salon des Artistes français). A la pleine maîtrise du dessin, il ajoute la couleur, et des couleurs vives et chaleureuses, souvent dans la mouvance des Fauves, de Cézanne.


    Autre aspect important : de même que fut décisive pour Vermeer la pratique d’une invention de son époque, la « chambre obscure », de même pour Coste-Linder, la photographie en stéréo, une invention récente, a été utilisée avec abondance et excellence – un procédé qui ajoute à la photographie, le relief, la profondeur.... (Il s’agit là d’un autre fonds familial qu'il faudrait un jour exploiter).

    La majorité de l'oeuvre est sur du papier fort de format 28x38cm, une minorité au format double, 56x38cm. A cela s'ajoute les dessins et aquarelles de ses carnets de croquis (de 1897 à 1943) dont nous avons retenu ici une cinquantaine des meilleurs esquisses, là où le trait et la couleurs sont plus libres et vifs que dans les tableaux. (N.B. sur le panorama, ces esquisses des carnets sont surlignées d’une spirale).

    « Les Vierges des carrefours » : oeuvre discrète, dans la fatigue des dernières années de sa vie : un petit livre joliment relié qui rassemble 100 dessins des niches et oratoires des rues de la ville d’Aix. 100 pages de 22x17cm : chaque fois le dessin d’ensemble de l’ordonnance bâtie, au crayon et lavis bleu pâle, avec l’oratoire en gris-noir. Itinéraire de piété du vieux peintre dans sa ville, ce recueil est émouvant par la persévérance qu’il manifeste, en même temps que le ton modeste, répétitif, le dessin esquissé, le lavis toujours du même bleu pâle; une légende au crayon donnant le nom de la rue. Aucun texte de présentation, aucune ‘étude’. C’est son fils Jean Paul qui écrira magistralement sur cette ville.

"Coste-Linder"

    Étonnante signature en deux noms ! Il est si rare qu’un artiste ose joindre à son nom celui de son épouse. Car en matière de noms, les mariages et compagnonnages sont, tantôt en forte disparité (Cézanne-Fiquet, Pissaro-Vellay, Bonnard-Boursin), tantôt trop instables (Matisse-Paraye, Picasso-x-x-x), tantôt constitués de deux artistes signant chacun pour soi en respect de l’autre (Veira da Silva et Arpad Szenes) ou en concurrence (Rodin et Claudel)...
    Reste ce double nom de Camille Coste et Juliette Linder, comme un bel entrelacs portant fleurs et fruits d’abondance. Dès le départ, une heureuse rencontre. A Marseille, en 1906, rue Lafon, Camille Coste est ingénieur dessinateur employé à la SNCF (la Cie PLM), d’origine très modeste, des ‘coste’, des coteaux d’Ardèche ; il a 32 ans. Dans cette même rue Lafon, Juliette Linder, à 28 ans, est la fille du grand confiseur pâtissier Alfred Linder, une importante famille alsacienne dispersée depuis l’exode en 1870, de belle culture, très mélomane. Bientôt la tuberculose va emporter le frère aîné, et Juliette sera la seule a perpétuer le nom Linder – la Maison elle-même étant reprise en 1919 par le cousin.
    Le mariage de Camille et Juliette est indéniablement un beau cadeau de la vie, puisqu’il s’agit d’un couple stable, d’un réel partage d’un art de vivre en commun, et d’une véritable complémentarité de talents qui ne sont pas concurrents – une complémentarité que ces époux ont dû construire et pour laquelle Juliette a probablement apporté plus d’effacement et de dévouement que n’en a donné Camille, très habité d’ambition. Tandis que son art à elle, la cuisine, lui avait été donné de famille et se prodiguait naturellement dans la tenue ordinaire de sa maison, sans chercher à se faire reconnaître, par différence avec l’accès progressif de Camille dans l’art de la peinture et sa reconnaissance, qui prirent le sens et la force de son souci d’ascension sociale depuis la misère de l’enfance jusqu’à la notabilité et la richesse au tard de sa vie ; mais paradoxalement, là où cette ambition de progrès aurait dû se traduire en quelque outrance ou dureté de l’oeuvre (comme c’est souvent le cas dans l’art moderne), c’est au contraire un univers de dilection et d’équilibre. Bref, la douceur et vigueur des aquarelles de Camille en répondant des largesses et succulences de l’art culinaire de Juliette. Il convenait donc bien que Camille ajoute « Linder » pour donner la complétude de son œuvre « Coste ».
    S’ajoute à cela la qualité de vie familiale avec leurs trois enfants – il est si rare que des artistes soient vraiment parents – la qualité d’un goût de vivre, d’un hédonisme, d’une prédilection pour l’Humanisme de la Renaissance – « les amants de Florence ».

Coste-Linder et Aix-en-Provence

    ‘Florence provençale’ d’aujourd’hui, Aix, ville de rêve, de surabondance de culture et d’art, avec l’entrain de Mozart, le trait de Cézanne, de Picasso, de Vasarely, de Saint John Perse... Mais qu’en était-il de cette ville au temps de Coste-Linder ? Quel déploiement d’art était-il alors possible ? Quel éteignoir ? Une ville dont la magnifique ordonnance bâtie du XVIIe siècle avait gagné de la grande aristocratie d’époque, mais une ville qui au temps de Cézanne, et jusque dans les années 1950-60, jusqu’à la venue de Picasso, était une ville méprisée des artistes d’avant-garde qui goûtaient la lumière de Provence (les Van Gogh, Gauguin, Matisse, Bonnard...) – car cette ville était alors endormie, renfermée, ville de couche-tôt, ‘encaquée comme une nonne’ disait l’historien Agulhon – une ville dont le Conservateur du Musée, jusqu’en 1925, avait juré que jamais un Cézanne n’y entrerait – erreur irréparable. Lorsque Coste-Linder arrive dans cette ville, en 1927, deux ans après la fin de ce discrédit imbécile, le milieu artistique aixois commençait à s’ébranler pour s’ouvrir vers la modernité. Preuve, un Salon d’Art Aixois, en 1934, intitulé ‘le mont Victoire’ (la fierté que la ville tenait de Cézanne), avec un article de Coste-Linder regrettant que les ‘Montagne Ste.Victoire’ de Cézanne se baladent à Londres et ailleurs, et non pas à Aix. Même l’organisateur de ce Salon, Marcel Provence, propriétaire de l’atelier Cézanne, n’avait que trois ‘reproductions’ de ses œuvres à exposer.
    En venant dans cette ville à la cinquantaine, ayant déjà la pleine maîtrise de son art, Coste-Linder a cherché naturellement à s’intégrer à la fois comme artiste et comme notabilité ; il a aimé cette ville, depuis sa belle villa derrière le Pavillon de Vendôme, proche et ami de son propriétaire, Dobler, il a joué à plein ses relations bourgeoises. Il a peint abondamment les vues de cette ville et ses ordonnances bâties. Tandis que Cézanne, également à la cinquantaine, en 1886, venant de Paris et jouant sa carrière sur Paris, lorsqu’il s’est installé à Aix, dans l’héritage de son père, il n’avait rien à tirer du milieu artistique aixois, il était le solitaire sauvage et irascible. Dans la tradition de l’Impressionnisme de Pissaro, il n’aimait que les peintures de paysage de campagne ; aucune vue de ville – tandis que Coste-Linder était dessinateur constructeur, le peintre du bâti.
    Ainsi donc, en venant à Aix, Coste-Linder a poursuivi son œuvre originale, hors des « sentiers battus », entremêlant la ville et la campagne. S’il ne s’est pas avoué redevable de Cézanne, il devait certainement en être marqué, d’une part, à cause de l’amitié pour la famille Coste-Linder de Marie Gasquet, la veuve de Joachim Gasquet (mort en 1921), le proche confident de Cézanne, d’autre part, à cause de l’estime que Coste-Linder avait pour le peintre Joseph Ravaisou (mort en 1925), sur lequel il projetait d’écrire un livre qu’aurait préfacé Marie Gasquet – ce grand coloriste des paysages de Provence qui avait travaillé avec Cézanne et que celui-ci estimait vivement.

Michel Coste
mai 2011