20 août 2007
|
|
|
la Maya
C'est une grande parade de femmes dans leurs saris qui caractérise un beau mariage en Inde : une profusion de voilages, de soieries, de couleurs, comme autant de charmes qui les révèlent en les voilant. Le jeu même de la " Maya " (là où notre " Révélation " est dévoilement du secret, du caché).
Tandis qu'en Occident, nous apprécions les œuvres d'art pour elles-mêmes, en elles-mêmes (révélations), en Inde l'art fut inventé et abondamment déployé pour que l'Intimité du monde (nous disons Dieu) prit forme au regard de ceux qui ne sauraient en soutenir la présence dans sa nudité. L'art sert cette Vérité intime, il la désigne, en même temps qu'il se dénonce, puisqu'il n'est qu'illusion dont le rôle est d'évincer l'illusion. Telle est la maya.
Autrement dit, manifestations du Sans-Forme, les formes (dont les œuvres d'art) ont leur origine dans l'Indifférencié : elles manifestent l'Indifférencié en le différenciant ; elles sont ce par quoi l'Un devient la multiplicité pour ramener à l'Un.
Plus encore, si dans la statuaire des temples dominent fortement la séduction du sensuel et la suavité de l'érotique, et si on constate que, du monde des dieux et demi-dieux à celui des humains, l'expression amoureuse se transforme, s'accentue, se précise, c'est bien là l'heureux mode hindou de la dévotion : c'est l'entraînement du plein jeu de la maya, pour qu'abondent les échanges et harmonies d'hommes et femmes afin que leur différenciation s'accomplisse dans leur union, que leur dualité soit dépassée en l'Un. Partout vénérée en Inde, la stèle Linga-Yoni (le phallus couronné à sa base - Shiva et Parvati) inculque l'antagonisme mâle et femelle, tout en l'intégrant dans l'Indifférencié, dans une radicale fusion de deux en un. (Rien de cela en Occident).
Si le monde en Inde, le monde des réincarnations, se crée dans et par la diversité, et s'il s'abolit dans le retour au germe, de même le couple mâle-femelle se crée dans la différence, mais trouve sa véritable existence dans l'abolition même de la différence. Telle est, dans sa plus heureuse donnée, sa plus humaine expression, la maya.
Que j'ai dû foisonner beaucoup et me retourner en tous sens, projetant ainsi des ombres bigarrées sur ta splendeur - telle est ta maya.
Tu poses une barrière à même ton propre être et, en myriades d'accents, disjoints de toi, tu réponds à ton propre appel. C'est ainsi qu'en moi ta départition a pris corps.
Ton chant poignant se reflète à travers les cieux en larmes irisées et en sourires, en frayeurs et en espérances ; des vagues se dressent et s'écroulent, des songes se déchirent et se reforment. En moi tu te mets toi-même en déroute.
Cet écran que tu as dressé est diapré d'innombrables images qu'y peignent le jour et la nuit ; derrière quoi ton siège est tissu d'un prodigieux mystère de courbes, toute brutales ligne droite exclue.
Cette grande parade de toi et de moi se déploie à travers le ciel. De l'accord de toi et de moi tout l'air vibre et la partie de cache-cache engagée entre toi et moi se poursuit à travers les âges.
(R.Tagore. L'offrande Lyrique 71)
Source : Max-Pol Fouchet. L'art amoureux des Indes. Gallimard 1957 |
Maya
bronze 2007 h.78cm |