20 septembre 2007
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les œuvres d'art quittent nos intérieurs
pour les espaces publics
"Toulouse injecte de l'art dans le métro au risque de l'indifférence" titrait Le Monde du 30 juin dernier. Selon l'article, "Le projet d'installer l'art dans le métro peut être inscrit dans le grand mouvement qui, depuis un demi-siècle, vise à démocratiser, voire à généraliser la culture". On dira de même de Paris le long de son tramway.
"Au risque de l'indifférence" : en fait de "démocratisation" et de "généralisation ", l'article rapporte que ce n'est que 2% des usagers du métro qui serait sensible à cet art. Sans compter, au plus probable, la masse silencieuse de ceux qui supportent mal qu'on leur "injecte de l'art", qu'on leur impose de voir un art qu'ils n'ont pas choisi et qui ne leur plait pas ; alors qu'ils estiment, avec bon sens, que leur démarche vers l'art relève d'un choix : aller au Musée, visiter une ville d'art, acheter une œuvre pour la mettre chez eux, etc.
Il y a là un malentendu où se conjuguent plusieurs aspects. (Ici remonte mon métier de sociologue urbain).
Premier aspect : une évolution des arts plastiques contemporains que l'article du Monde résume en ces termes : "Notre société hyperdémocratique… coexiste avec l'art le plus abscons (caché, difficile à comprendre), le plus ésotérique, en ce sens le plus aristocratique". Non, reconnaissons qu'il ne s'agit ni d'une aristocratie, ni d'une élite, mais d'une petite caste dominante confinée dans l'absconnerie. En ce sens l'article précise que cet art du métro gagnerait à être accompagné d'un "volet éducatif" et "d'explications in situ" : puisque les gens du métro sont évidemment un peu ineptes, il faut bien les éduquer et leur expliquer les qualités inestimables de cet art abscons.
Deuxième aspect. "C'est une bonne chose, dit le même article, que l'art contemporain sorte des murs des musées et des galeries".. - on peut ajouter : de nos lieux de vie, de travail, de nos intérieurs de maison... Pourquoi cette mode, cette vogue de l'art en extérieur ? Probablement parce qu'il correspond à un public d' "espaces publics", à des gens qui sortent et qui apprécient les animations de la ville et de leurs espaces de loisirs, de découvertes, de tourisme… Sachant cela, les institutionnels, les maires, les élus, les autorités culturelles, les "personnels autorisés"… abondent dans cette vogue qui justifie leurs dépenses. En matière d'art, ils ont effectivement un pouvoir sur les espaces extérieurs, et non pas dans les intérieurs, si ce n'est par la télé...
Evidemment, ce deuxième aspect n'est possible que parce que le public est consentant, mais seulement dans une attitude consumériste de l'art : pour lui, ces œuvres ne sont que du spectacle à saisir rapidement et en zappant… en courant dans le métro… comme à la télé. Il faut lui "injecter" la dose au passage. Rien d'un calme regard étonné, d'une longue contemplation et d'un émerveillement, d'un bouleversement intérieur, rien d'un repos en intérieur, chez soi. L'effet surprenant suffit, tel l'effet pub.
Autre trait caractéristique de cette extériorisation des œuvres d'art plastique : il convient, telle la pub, qu'elles soient de grande, de très grande taille. Finie la petite sculpture de 20-50cm, fini le petit tableau ou la gravure. (Deux exemples : la nouvelle fonction dominante du Grand Palais à Paris, et une prochaine journée du galet au Tréport, où les falaises serviront d'écran pour des projections géantes…de galets : l'illusion que les rognons de silex retournent à leur falaise !).
Enfin autre trait cumulé : de nos jours, grâce aux médias, le conditionnement de masse est extrêmement poussé et performant sur les produits rentables, onéreux (tels les produits de la pub…), engendrant ainsi des comportements de moutons de Panurge - la foule du métro, les grands espaces publics...
D'où mes interrogations : qu'est-ce qui se perd dans cette évolution d'ensemble ?
@ Est-ce la fréquentation des musées et des expositions ? Sans doute pas, même si on y déplore la part croissante de consumérisme touristique - 1/2h pour le Louvre.
@ Est-ce la fréquentation des galeries, celle des ateliers d'artiste ? Sans doute oui : puisque l'art contemporain est abscons, il n'a pas la faveur des musées et des expositions, et il détourne des galeries ; quant aux ateliers, la majorité se modèlent sur l'art contemporain des galeries et des espaces publics.
@ Est-ce dire alors que l'acquisition d'œuvres contemporaines pour nos espaces de vie privée, pour nos intérieurs de maison, deviendrait de plus en plus rare, parce que complètement en décalage avec ce que nous venons de constater de la pratique de l'art d'aujourd'hui ?
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anneaux en bois
2003 h.42cm |