20 novembre 2007
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la Flûte enchantée
et le Requiem de Mozart
Ces deux dernières œuvres de Mozart le préparèrent à sa mort, le 5 décembre 1791. Elles l'accompagnèrent jusqu'à la fin. Or, en ce qu'elles expriment (leur message, leur musique), elles diffèrent tellement l'une de l'autre, elles sont tellement incompatibles, qu'on est amené a choisir l'une ou l'autre pour ce qui est d'une musique de la mort, avec, évidemment, un penchant habituel pour le Requiem : de préférence et par facilité, on estime et on va chercher ce que dit le Requiem de la mort, plutôt que d'aller écouter la Flûte.
Toutefois, en reconsidérant bien ces deux œuvres, en les mettant en concurrence à l'approche de la mort et s'agissant de son " message " (de son sens et non-sens), je trouve que la Flûte est plus richement et profondément mozartienne que le Requiem, qu'elle est plus expressive des convictions intimes, des aspirations et des désirs de Mozart, de ses bonheurs et angoisses portés ici à leur extrême, à leur gravité absolue dans cette approche de la mort.
Pour dire l'essentiel de la différence : l'une, la Flûte, fut librement et délibérément engagée par Mozart, dans sa foi adulte maçonnique avec son ami directeur du théâtre, elle fut longuement travaillée et jouée jusqu'à sa mort, tandis que le Requiem fut une œuvre de commande, tardive mais de taille modeste en regard de sa capacité créatrice - une œuvre qu'il eut apparemment du mal à honorer, qu'il n'arriva pas à achever - une œuvre qui ravivait ses références chrétiennes traditionnelles.(On notera que deux siècles plus tard nous avons plus d'aptitude à saisir et ressentir le message chrétien du Requiem que la portée maçonnique de la Flûte - en ajoutant que l'une est courte et simple, l'autre très longue et compliquée).
D'une part, la Flûte met en scène l'initiation périlleuse et éprouvante d'un jeune homme et d'une jeune femme jusqu'à atteindre l'accomplissement heureux de leur amour. D'autre part, une Messe des morts, dont Mozart a reçu la commande (on pense au Commandeur de Don Giovani) - une messe toute traversée d'angoisse et d'imploration.
Autrement dit, d'une part, ce qu'il revient au jeune homme (alias Mozart) d'avancer comme épreuves et espoirs jusqu'à l'accomplissement final, d'autre part, sa tension extrême dans ce qu'il prépare, ce qu'il attend et espère de l'entrée dans l'au-delà que va être sa mort. Ont peut donc dire que la Flûte, c'est l'avant, et le Requiem, l'après. La Flûte c'est le temps présent qu'il faut bien vivre, le Requiem, c'est l'au-delà qui crée une tension extrême.
Ici le passage d'initiation maçonnique depuis une mort symbolique (l'évanouissement de Tamino) jusqu'à la gloire, avec la référence à Isis et Osiris, tandis que là, selon la foi chrétienne, c'est l'espérance du repos (requiem) et de la lumière (lux) qui seront donnés dans la mort.
Ici l'homme et la femme avancent dans leur amour jusqu'à l'unité reconstituée. Là l'homme et Dieu : le fidèle qui se débat dans le "Dies irae" de son Dieu, le Jour de Colère, le Jugement dernier.
Ici une œuvre extrêmement compliqué et longue, qui semble nécessaire à traduire et rendre le bilan complexe d'une vie, où tout ce qui a été d'amours d'homme et femme doit être décanté et purifié (c'est-à-dire accomplis au plus heureux, et nullement méprisé ou renié, surpassé ou sublimé). Là un message extrêmement simple, je dirais simpliste, serait-il diversifié dans son expression : l'imploration au Dieu dans l'angoisse de devoir entrer dans son Jugement.
Trois rappels historiques utiles à notre préférence de l'une ou l'autre oeuvre. Actuellement nous sommes beaucoup plus imprégnés culturellement de Requiem que de Flûte : à Paris, il est donné des centaines de concerts du premier pour de rares présentations du second - même si l'écoute de CD peut corriger cette disproportion.
Au XIXe sc et jusqu'à récemment, tandis que le Requiem était ignoré (il ne fut exhumé qu'en 1956), La Flûte n'était appréciée que comme un divertissement, une action de théâtre de boulevard, "un entrelacs d'épisodes bouffons et sérieux" (Guy Samama), "un ramassis de stupidités sans intérêt, sans rime et sans raison" (Jacques Chailley - l'Avant-scène 1976). Paradoxalement, j'insiste, pour une époque romantique qui accentuait le sombre et le dramatique et dont nous sommes malheureusement les héritiers (une époque qui, par exemple, ne retenait de la Divine Comédie que l'Enfer, tel Rodin, et non l'accomplissement d'un amour dans le Paradis) - paradoxalement cette époque n'a pas perçu la dimension grave et dramatique du récit d'initiation qu'est la Flûte enchantée. (N.B. Une fois de plus, l'histoire nous permet de comprendre les étranges méprises qui font et défont les modes de l'art).
Rappelons enfin ces neuf mois de l'année 1791 jusqu'à la mort de Mozart, le 5 décembre. Après des mois extrêmement éprouvants (le désaveu du Prince…), en mars 1791, Mozart engage la Flûte avec son ami maçonnique, Schikaneder, qui dirigeait un petit théâtre dans le faubourg de Vienne. C'est là que l'opéra sera donné continuellement à partir du 30 septembre - Mozart y assistant jusqu'à sa mort. Entre-temps, le Maître reçut la commande du Requiem, tardivement, vers la fin juillet, en même temps que la commande de l'Opéra "La Clémence de Titus". Le Requiem restera inachevé…
La Flûte ! que dire de cette œuvre maçonnique très compliquée ? Mozart avait la chance de relever d'une Loge et d'une tradition des plus "éclairées" (Aufklärung) avec pour Maître Ignaz von Born. Mais Mozart s'est permis d'élargir les contraintes et raideurs de cette tradition, spécialement en introduisant la femme, Pamina, dans l'initiation d'une Loge d'hommes ; et plus encore, en composant dès le départ cette initiation de deux amoureux, afin qu'elle aboutisse sur une "purification" mais un heureux accomplissement de leur union - "l'homme et la femme qui s'aiment touchent au divin", chantent Papageno et Pamina.
Voilà l'enseignement qui me touche. Au tard de la vie de Mozart, à sa mort, à l'aboutissement de son Opéra, c'est l'amour d'homme et femme qui touchent au divin. Par différence, l'aboutissement de son Requiem, c'est la mort, en espérant que ce soit en Dieu.
Dans les dernières semaines, les derniers jours, la Flûte le hantait ; il avait assisté jusqu'au bout à chaque représentation, et il fredonnait sur son lit de mort le Lied enjoué de Papageno accompagné de sa flûte : "Der Vogelfänger bin ich, ja " : "Oui, je suis l'oiseleur, toujours joyeux, holà hoplala !".
Dans le même temps, il essayait d'avancer vainement son Requiem. Il serait mort en écrivant le " Lacrimosa " - "O jour de larmes, où l'homme coupable ressuscitera de la poussière, pour être jugé ".
Deux choix de vie. |
une autre Marianne h.28cm
une lecture s'envole h.28cm
flammes d'ailes h.41cm
œuvres vives h.33cm
marbres 2004 |