flamenco bronze 2005 / la conversation bronze 2006 et 'voulez-vous danser ?' marbre 2006 / le creuset bronze 2000 / le doux roulis bronze 2012 / cœur épris bronze 2005 / l'anneau d'or terre 2012 / étreinte1 terre 2010 |
|
Pour une histoire de la sculpture du couple.
Ils sont dans la chanson, dans les films, les photos, les gravures, les peintures… quand viendront-ils en sculpture ? Ils l'étaient en Inde, avec bonheur, ils se sont éclatés avec Rodin, une exception d'Enfer… ne viendront-ils pas bientôt à éclore dans notre tradition de la sculpture - elle qui, depuis des millénaires, célèbre les beautés et séductions de la femme et de l'homme, n'oserait-elle pas enfin les faire se joindre, les faire s'aimer ?
On sent l'amorce à la Renaissance, avec les rapts amoureux de Florence, de Rome (Giambologna, le Bernin…) ; au XIXe, les ébats s'échauffent, avec le baiser d'Amour et Psyché par Canova (grâce et langueur), avec la Danse de Carpeaux (joie et vibration de la chair), jusqu'à la profusion exceptionnelle de Rodin : La Cathédrale, Le Baiser, les diverses de figures de la passion dans les affres de l'Enfer * - exception majeure : 1883-1893, Rodin/Claudel, le Maître et sa praticienne, deux sculpteurs d'une force rare, et d'un fol amour, voué à leur perte, donc la version d'Enfer des amants. Ensuite quasiment rien chez les Modernes. Mais qu'en sera-t-il demain ? Essayons de comprendre.
Au long de cette histoire de la sculpture, je ne parle pas du classique époux/épouse (ou frère/sœur) trônant l'un près de l'autre, ou debout, ou gisant. Je parle du vif et réaliste de l'étreinte amoureuse que depuis des siècles, les beautés séduisantes de femmes et d'hommes sculptés appellent de leur désir. Pourquoi une telle retenue sculptée côtoyant le libre cours des images: les céramiques grecques, les fresques de Pompéi, les dessins et peintures Renaissances et du XVIIIe, les gravures chinoises sur l'art érotique, les gravures et peintures de Picasso (mais non pas de sculptures), jusqu'à aujourd'hui où, plus que jamais, les images savent exploiter ce thème, celle de la presse, du ciné, de la télé, tandis que la sculpture est nulle. Pourquoi ?
Serait-ce le frein de la commande, la sculpture étant plus onéreuse que l'image, plus conservatrice ? Non, car elle n'a pas manqué la clientèle voulant se payer du plaisir, et elle n'aurait pas lésiné sur le prix. La vraie raison me semble dans le manque d'audace des sculpteurs, à commencer par leur conditionnement dans l'école et la tradition, là où, plus que jamais, les convenances comptent. Preuve, Picasso lui-même. Que l'on songe seulement à la difficulté pratique d'une telle sculpture de groupe (à deux) avec des modèles qui " posent " - là où c'est le contraire de la pose.
En réalité, cette retenue me semble venir de la corporéité de la sculpture, de sa charnalité, par différence avec l'image. Car de quoi s'agit-il ? L'entrée de deux amants dans leur passion amoureuse, l'intimité de leurs baisers, de leurs ébats, et surtout la force du spectacle de leur accouplement, sont objets d'attrait, de fascination, de sensation choquante, d'effroi, de plaisir trouble : une réalité si forte qu'on en éloigne les sensibilités fragiles, les enfants, et qu'on s'en garde quelque peu soi-même. Lorsque ce spectacle est rendu en image, en dessin, en peinture, et même encore à la télé, il y a une distanciation qui contient quelque peu le heurt à l'écart, qui le rend illusoire, qui le fait fantasmer en imaginaire. Tandis que la même scène sculptée, suggère sa réalité de façon plus directe et immédiate, puisqu'elle est corporelle comme la chair des amants ; puisque la sculpture, de même que l'amour, est une entrée dans le toucher, le toucher qui peut bouleverser au fond du cœur. Pourquoi le scandale de la danse de Carpeaux, et celui des couples de Rodin ?
"Chaque monde nouveau créé par un artiste renouvelle notre vision du monde". Notre époque médiatique étant si luxueuse de scènes d'amants, il y a fort à parier que la sculpture aussi se mettra de la danse. Même s'il faut reconnaître qu'en ce domaine les vertus de l'art sculpté sont encore des montagnes et des rivières inexplorées. Audace et délicatesse.
* A vrai dire la Porte de l'Enfer présente peu de couples. Elle est peuplée de solitudes, d'individus damnés, de corps nus, tourmentés, provoquant de luxure, telle une version outrageusement sexuelle de la partie d'Enfer des Jugements derniers aux portails des cathédrales, des retables ou des Danses macabres, ou de quelques tableaux de Jérôme Bosch. On remarque surtout qu'aucun couple de Rodin offre la détente et la joie de la Danse de Carpeaux.
|
|