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La Bléone
marbre 1983
unique, la rivière de ma mère à Digne |
Le je et tu de l’échange entre êtres humains , depuis le sourire, les caresses et les mots doux de la mère et du père à leur nouveau-né, jusqu’aux regards, gestes et mots d’estime entre adultes – ces échanges entre humains sont uniques, nullement interchangeables – des échanges en altérité, où l’un est soi (unique) parce que l’autre est autre (unique) – parce que les présences qui s’échangent en ces visages sont à nulle autre pareilles. Telle est la prodigieuse diversité des milliards d’êtres humains, où morphologiquement, chaque visage est singulier, et a fortiori chaque dimension intérieure de ces hommes, femmes, et enfants, leur ressenti, leur intelligence, leur vécu, leur âge. C’est donc dire, à la base de notre humanité, ce relationnel en je et tu – en autant de regards, de mots, d’écoute, de sentir… où s’exprime la singularité, l’unicité les uns des autres. |
L’unicité tient du latin ‘unus’ (un, seul, unique) : caractère de ce qui est unique. Comment ne pas penser à la Présence de Dieu ? La relation d’altérité est la base de l’unicité, à commencer par la relation originelle d’homme et femme, hétérosexuelle : la femme pour l’homme, puissance du désir, à la fois toute proche et familière, et toute autre pour lui, radicalement mystérieuse, insaisissable, énigmatique… Si bien que père et mère, ils engendrent l’enfant lui aussi différent (et non un clone) – cet enfant qui ne deviendra lui-même (unique) que séparé, autre que sa mère. L’unicité a pour synonymes : inédit, neuf, nouveau, sans précédent // personnel, différent, innovant, inventif, singulier // bizarre, atypique, curieux, étonnant, étrange, excentrique, particulier, pittoresque (autant de valeurs appréciées dans les arts modernes) // fantaisiste // anticonformiste, bohème, marginal…. Elle s’oppose à l’uniformité : cette contrainte des régimes totalitaires, de l’Armée, de l’Eglise… à des êtres vêtus du même uniforme, rendus communs (communisme). Elle renvoie à l’original : (de ‘orient’ : l’est, pays du levant : se lever, naître) // qui émane directement de l’auteur, qui est la source et l’origine première des reproductions // qui a sa marque propre, unique // qui s’exprime d’une manière qui lui appartient en propre (d’où la nuance péjorative : bizarre, excentrique… telle la marque subjective de l’artiste appréciée dans les arts modernes et contemporains). Elle exprime aussi le singulier… (du latin singularis : seul) // individuel, particulier, distinct : ce qui n’est pas conforme à l’ordre commun, exprimant le caractère unique, particulier de la différence… Sachant que seul le singulier ouvre à l’universel…. depuis Dieu seul. Elle advient avec la reconnaissance de l’individu, laquelle caractérise notre modernité, ainsi que l’évolution de la foi biblique qui est passée d’un Dieu communautaire à un Dieu personnel et intériorisé, recueilli au cœur du fidèle – c’est dire un Dieu unique. N.B. ‘Michel’, ‘Qui est comme Dieu ?’ : ce nom qui m’habite, en défi et interrogation, en quête incessante de l’unicité sans pareille du fin fond des êtres, de leur altérité. * |
En remontant les rives pierreuses de mon torrent des marbres, patiemment,
je cherche jusqu’à trouver et choisir un bloc qui a un peu d’allure et que
je devine comme une promesse d’aboutir à une belle œuvre sculptée. A cet
état naturel, elle est unique en puissance parmi les milliers de pierres et
graviers qui ont déboulé de la montagne, charriés par le torrent, avec
quelques rares blocs de vrai marbre que je reconnais à leur
cristallisation, avec leurs chamarrés singuliers de veinages. Dans le
quelconque de la nature, cette unicité potentielle m’invite à la
reconnaître et la faire émerger. Comme parmi les enfants, celui que
l’institutrice accueille dans sa classe, et avec qui elle saura échanger
dans son unicité, et par là l’enfant épanoui et heureux d’apprendre –
l’enfant venant à son intelligence propre.
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En 2012, j’écrivais déjà sur mon site, p.77
Unique tu es née du flanc de la montagne, en ta cristallisation et tes
veinages de marbre. Unique, le torrent t'a roulée dans son lit, en ses
abondances et remous à te rompre, sa patience à t'éroder, ses chants et
fantaisies à t'user et te caresser jusqu'à ta forme première et sauvage qui
me fut donnée. Unique mais enfouie et comme abandonnée je t'ai découverte
et dégagée des gravats et de ta gangue : beauté brute, latente, chargée de
promesses. Unique parmi d'autres, pourquoi t'ai-je choisie ?
"Comme le lis parmi les ronces, ainsi ma bien-aimée parmi les filles." (Cantique des cantiques) Unique fut alors ma longue séduction à te prendre en main et te sculpter jusqu'à te rendre à toi-même dans ta fière allure à nulle autre pareille. Unique notre singulière aventure : l'aisance et l'habileté que j'ai connues avec toi. "Soixante sont les reines, quatre-vingt concubine? et les jeunes filles sans nombre ; unique est ma colombe, ma parfaite". (Cantique) Unique à jamais tu demeures, parce que tu ne saurais être reproduite, secrétant de ce fait une aura de recueillement et de contemplation, selon les mots du sage :"l'unique apparition du lointain, si proche qu'elle puisse être" (W.Benjamin). Qu'importe alors que tu sois comparée à d'autres de mes sculptures estimées plus singulières par leur beauté ou magnificence. Je craindrais plutôt l'atteinte à ton unicité lorsque te voilà exposée, exhibée et par là dévaluée, et pire, lorsqu'on risque d'oublier ton allure sculpturale au travers d'une photo ou sur le net... : toi qui es sculpture, toi qu'on saisit dans l'approche et le regard, le long regard, la prise en main et la caresse. Unique entre toutes tu es devenue par les coups de cœur que tu as suscités, ceux-ci te gardant dans leurs rêves et celui-là t'ayant choisie et acquise, et quoiqu'il en soit, secrète, précieuse et à jamais intime en ces appropriations."Monbien-aimé est descendu en son jardin, aux parterres embaumés, pour pâturer dans les jardins, et pour cueillir les lis" (Cantique) |
* L’unicité des ‘galets de marbre’ de mon torrent :
C’est une chance que les morceaux de marbre, gros et petits, que je
choisi dans ce torrent de la Clarée soient aussi divers de formes et
veinages : tout d’abord, en amont, ce sont des restes, des débris de
grands blocs rocheux marbriers déboulés du flanc de la montagne et
éclatés en arrivant dans le torrent à 100m en contre-bas ; ensuite, ces
marbres étant de cristallisation friable, sensibles aux assauts de
l’eau, le torrent a beau jeu de venir ‘se régaler’ à les entamer, les
émousser et affouiller, les creuser, les transporter, les rouler…
jusqu’à les laisser lamentablement échoués sur ses rives parmi des
milliers d’autres épaves de roches, pierres et graviers… jusqu’à ce que
mon regard s’en émeuve, que ma main s’en éprenne, puis l’outil à
l’œuvre. Uniques.
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Ainsi me furent donnés les marbres entre mes mains, ma sculpture première.
Puis plus tard, et sans lâcher les marbres, me vinrent les terres à modeler
– ces quelques 400 terres dont les meilleures aboutirent à une centaine de
bronzes, les cristals, la fontaine de la gare de Marseille, la Jeanne d’Arc
de Rouen, etc, etc.
En 1992, cette unicité de démarche m’était vivement exprimée par un grand connaisseur, Jean de Bengy, Inspecteur général de la création et des enseignements artistiques : ‘vous savez deviner l’intérieur du marbre que les autres ne voient pas, le rejoindre et le faire ainsi ressortir. A ma connaissance, je ne sais pas de sculpture semblable à la vôtre’ . Toutefois cette habitude de la sculpture des marbres étant acquise (chaque fois une donnée nouvelle sans répéter les précédentes) qu’allait-il en être en étant aux prises avec une simple motte terre, sans aucune potentialité ? Si l’unicité de l’échange avec le bloc de marbre n’était plus possible, il restait de cette habitude acquise, mon souci d’ouvrir chaque fois une forme nouvelle, sans répéter les formes précédentes. Mais comment éviter que vienne s’entretenir mon empreinte d’homme, et par là de la répétition : la marque de mes préférences, mes habitudes… - soit clairement, chez un homme habité de désirs et d’altérités, d’unicités, le plus heureux de ses aspirations et formes d’expression, le plus vif de son langage : le rendu de son relationnel avec la femme, ses rêves et représentations de la femme aux bonheurs d’être aimée et d’aimer – cette positivité latente que j’aime créer. Et il est vrai que de ce fait, ma sculpture se répète quant à exprimer indéfiniment la femme… mais malgré cela, dans un renouvellement et une diversification constante : car en poursuivant ce seul rêve de la femme, voilà que ses allures se présentent diverses, multiples, infinies, comme autant de bonheurs où je ne pouvais répéter. Tant et si bien que mes sculptures venues de la terre glaise (comme Dieu modelant son Adam ), que ce soit sous formes figuratives ou sous formes abstraites – ces sculptures restituent quelque chose de l’unicité multiple de la création humaine. Et cela plus encore, dans mes créations d’homme et femme à l’image de Dieu : les couples, accouplements et harmonies où la diversité des positions amoureuses est une caractéristique de notre humanité, par différence avec les animaux. C’est donc dire qu’avec l’informe initiale des terres à modeler, elle a toujours beau jeu ma quête incessante de ne pas répéter – n’en déplaise aux marchands de l’art qui préfèrent des artistes dont la facture reste constante et bien répétitive, pour mieux se vendre (pour que le client reconnaisse bien le ‘tic’ de l’artiste, son ‘originalité’ devenue l’inverse de l’unicité). Car telle est la surprise de ma sculpture, amplifiée par les marbres : elle procure une découverte, un étonnement renouvelé à chaque nouvelle pièce – quelque chose qui approche des visages humains toujours singuliers, uniques. |
En 2014, j’écrivais sur mon site, p.68
Tous les amants du monde tiennent en grande estime le Cantique des cantiques, du moins tous ceux qui ont la chance de le connaître. Tous rêveraient de pouvoir se parler de même et l'écrire, le redire en souvenir et se raconter leur relation aimante, les bonheurs et langueurs de leurs cœurs et leurs corps, avec les mots justes, simples, directs, les mots imagés, allusifs, poétiques. "J'entre dans mon jardin, ma sœur, ma fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume, je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait." (Cantique 5,1). Si tel est dans nos vies l'une des formes les plus désirantes du langage des mots, pourquoi le langage de la sculpture ne se laisserait-il pas entraîner en ce même désir d'exceller à rendre cette langueur et ce bonheur des jours, à faire chanter cette relation aimante ? |