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le creuset bronze 2000
'Pourquoi tu ne me regardes pas?' disait Dina Vierny à Maillot qui la faisait poser en modèle et continuait de travailler par devers lui |
Parce que ma sculpture s’est voulue continûment en phase avec le réel, spécialement dans la taille des marbres du torrent, j’essaie de comprendre, dans l’histoire de la peinture et la sculpture – comprendre leurs dérives récentes dans la ‘modernité’, puis le ‘contemporain’ – ces dérives méprisantes du réel.
Longue, longue Tradition : depuis Chauvet et Lascaux, jusqu’aux débuts du
20ème siècle en Occident, 36.000 ans de peintures, dessins,
sculptures… où on constate et on admire, si diverses soient-elles, les
milliers de correspondances des artistes avec leur ‘motif’ (avec la réalité choisie), que ce
soit un animal, un corps, un portrait, un paysage, une scène de genre, une
‘nature morte’…. Chaque fois on devine que l’artiste a dû regarder très
attentivement cette réalité choisie et s’en imprégner afin de la restituer,
que ce soit directement ou de mémoire - cette restitution cherchant
habituellement à être la plus conforme possible au modèle, même si elle
peut être déformée par maladresse, ou même altérée et travestie afin que
s’y exprime ce que l’artiste aime en retenir, ou l’impression qu’il en
ressent – telle la main du Christ démesurément agrandie à Vézelay, telle
une couleur insolite parce que respectant une tradition, telle
l’amplification énorme des animaux à Lascaux.
* Mais voilà que dans cette longue, longue Tradition de l’accord et la correspondance de l’artiste à la réalité – voilà que de premiers décrochements apparaissent en Occident au cours du 19ème siècle : prolégomènes de l’avènement de notre ère du Progrès, reflets d’une époque de Romantisme affranchissant le ‘Moi’, effets des revendications de Liberté et des Révolutions en France. 1842, Turner se faisant lier à son mat dans la tempête (comme Ulysse au passage des Sirènes), libre ainsi d’exprimer tout ce qu’elle provoque en lui ; 1889, Van Gogh, depuis son asile de St.Rémy, peignant des ciels étoilés empreints de sa folie, et à la même époque Gauguin trahissant délibérément les couleurs de ses personnages ; 1893, Munch dessinant le Cri ; et surtout, dès 1874, Monet intitulant ‘ Impression Soleil’, son paysage de la Seine déformé dans les flous du brouillard, et par là tous les Impressionnistes, jusqu’à Cézanne et ses Saintes Victoires, jusqu’aux sculptures de Rodin déformant délibérément ses rendus. Or force est de constater que ces premiers décrochements sont advenus alors que s’inventait la photographie – c’est-à-dire l’avènement d’une concurrence imparable à la démarche artistique traditionnelle de restitution du motif (portraits, paysages, scènes de genre…) ; dans ces conditions ce n’était plus guère la peine de poursuivre cet art depuis la nuit des temps ; les artistes étaient démontés, spécialement les peintres poussés à chercher d’autres manières de peindre et dessiner – autres que cette correspondance à l’objet restitué sur la toile. C’est ainsi qu’advint La Transgression au début du 20ème siècle à Paris, ce qu’on appelle les ‘Avant-Gardes’ de l’Art moderne : les premiers gestes d’audace libérant les arts visuels jusque-là ‘servilement attachés’ à correspondre à la réalité prise comme ‘motif’. Picasso, à ses débuts (période bleue, période rose) était encore dans cette longue Tradition, jusqu’à ce qu’il ose rompre radicalement, avec ses Demoiselles d’Avignon, et avec ses compositions cubistes avec Braque. A la même époque à Vienne, Klimt peignait son ‘Baiser’, une mosaïque chaude de lumière. *
Arts modernes, ‘Avant-gardes’ : fini l’objectif
(l’appareil photo fait bien mieux), désormais prime le subjectif : le Moi,
la façon personnelle dont l’artiste voit son motif et entend peindre ou sculpter son œuvre.
Fini le réalisme (tel celui de Zola, de Flaubert), fini le
naturalisme, le figuratif, désormais s’impose l’abstrait
et ses milles variantes. (‘Abstrait’ au Petit Robert : # qui use
d’abstractions, opère sur des qualités et des relations et non sur la
réalité ; # qui ne représente pas le monde sensible (réel ou imaginaire) ;
qui utilise la matière, la ligne et la couleur pour elles-mêmes).
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Regardons l’évolution de Nicolas de Staël : durant de longues années de recherches, il patouillait des formes abstraites selon les modes de l’époque, jusqu’à ce qu’il dégage sa facture propre, avec de grands aplats homogènes. Cette abstraction pouvait être la fierté de la France, en concurrence de peintures abstraites américaines, comme Rothko. Mais voilà que Staël en est venu à mêler son abstraction avec des motifs figuratifs : Parc des Princes, Anne, Jeanne, les mouettes à Antibes, l’Orchestre…. Il osait revenir à une correspondance au réel…. |
J’essaie de résumer : avec cette affirmation de leur Moi,
de leur subjectivité les artistes ‘d’avant-garde’ (et
demain les artistes ‘contemporains’) se sont permis de se distancer, de
s’affranchir, de s’abstraire de la donnée objective, extérieure qu’ils entendent restituer (ou dont ils
entendent s’inspirer).
‘Voilà comment moi, je vois ce visage, cet objet, ce paysage… et
j’entends le rendre…pour en faire mon œuvre d’art’. ‘Tu as dit
ça, voilà comment moi je vais le dire’
. (Je le ‘revisite’ dirait la tendance actuelle). Tel
Maillol et Dina Vierny.
Tel se résume l’art moderne puis contemporain : la déconnexion de l’artiste de la donnée extérieure et objective du réel, du monde, d’un visage ou d’un paysage, pour en faire son propre rendu ‘subjectif’, ‘perso’ et, osons le dire, aveuglément égocentrique, égoïste. C’est également en ce sens qu’il y a abstraction : c’est le Moi de l’artiste qui s’abstrait de la donnée du monde pour s’affirmer Lui. Forme moderne d’individualisme : l’art n’est plus la docilité et l’accordance au monde, mais la liberté d’aller ses propres fantasmes et débats intérieurs, ses propres plaisirs et obsessions, ses libres expressions…
Dès lors on s’explique qu’il ne soit plus guère question d’une quête de la
beauté, puisque ce n’est plus la beauté du visage ou du paysage qui
commande la restitution qui va en être faite (ou dont l’artiste va
s’inspirer) – il ne s’agit plus, pour lui, de se laisser séduire par
cette beauté en vis-à-vis et s’efforcer d’y correspondre, d’en témoigner,
de s’y accorder dans son art. Et de là sans doute la dérive plus grave du
délaissement et du mépris de cette beauté qu’il exploite et détourne dans
son art. Telle Dina Vierny pour Maillol. De fait, la beauté de la femme est
la grande perdante du 20ème siècle, et pire, la beauté est
honnie, un mot obscène ; et Picasso de se vanter :
« Pour moi, peindre un tableau, c’est engager une action dramatique au
cours de laquelle la réalité se trouve déchirée ».
Toutefois, regardons la même évolution au positif, comme une grande chance moderne. Regardons les toiles de Turner. Regardons les ciels nocturnes tournoyants de Van Gogh. Clairement, depuis ces premiers modernes, la peinture a pu être un exutoire, une extériorisation d’un état intérieur. Ils précédaient ainsi l’avènement de la photo qui allait enfin libérer d’autres formes d’expression de l’art que le rapport servile attaché à reproduire objectivement le ‘motif’. L’objectif étant désormais assuré par la photo, le subjectif pouvait prendre son essor, son envol, sa liberté. La peinture et la sculpture pouvaient être d’abord une expression propre.
Mais n’est-ce pas alors le risque d’abandonner le dialogue pour un soliloque ? (N.B. l’addiction actuelle des selfies en est
un symptôme fort inquiétant ; à quoi s’ajoute l’addiction solitaire des
écrans, des smartphones, où l’horizon du monde et des autres se réduit à
60cm). Car il semble que, dès lors que cette évolution moderne en soit
venue à tellement affirmer le primat du Moi, du subjectif qu’elle ait perdu le rapport à l’autre – l’autre au double sens 1°. de
l’altérité du réel, du monde, du visage, du paysage… auquel l’artiste n’a
plus souci de s’accorder, puisque seule importe sa propre vision, 2° et des
autres, des destinataires de l’œuvre avec qui celle-ci pourrait entrer en
dialogue. Je précise.
Et pourtant, retournons encore la chose positivement, comme une chance de notre modernité : n’est-ce pas parce que l’expression d’art, dans ce mode moderne (ce primat du subjectif), est à même de libérer et affranchir, et servir d’exutoire à toutes les forces intérieures, les débats et les tourments, les non-dits et les refoulés – n’est-ce pas pour cela qu’il importe d’en reconnaître l’intérêt et d’en promouvoir l’avantage. A commencer par les formes d’expression d’eux-mêmes et de libération que peuvent y trouver les enfants… les plus à même d’entrer dans ce Royaume. Sans doute faut-il oser reconnaître cela tout en constatant que c’est justement cette libération et ces arts contemporains aux allures de folie qui suscitent les plus vives protestations des tenants de l’art classique, des ‘réac’. *
Conclusion : on sait que les avancées de l’art précèdent et anticipent
celles de leur société ; et on constate que le meilleur de ces innovations
peuvent éveiller et faire prendre conscience de ce qui arrive, cristalliser
des enjeux. Mais sans doute est-ce là une loi qui fonctionnait dans le
passé. Aujourd’hui, force est de reconnaître que ce sont des milliers
d’œuvres d’art classique dans le monde qui attirent les foules de visiteurs
et touristes – mais des œuvres du passé ; tandis que les œuvres d’art
contemporain sont d’aucun effet, méprisées, de peu d’intérêt – sauf la
fascination de leurs énormes enjeux de fric au Marché de l’art.
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