20 juin 2019 :
de commencement en commencement
20 juillet 2019 : des sculptures en vis-à-vis 20 août 2019 : le 20ème siècle et les 'Avant-gardes' de l'art 20 septembre 2019 : onze statues qui posent, une qui danse 20 octobre 2019 : artiste : se libérer, se retenir 20 novembre 2019 : "homme et femme il les crée" 20 décembre 2019 : "La phénoménologie de Lévinas" 20 janvier 2020 : la compassion, l'endurance et non le dolorisme 'C'est l'amour que je demande, et non le sacrifice'
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retournemnt intérieur bronze 1990 h.21 cm |
Moïse et le Buisson ardent : cette scène a fasciné mon enfance dans son
magnifique tableau de Nicolas Froment (1475) à la cathédrale d’Aix. Plus
tard j’ai appris l’histoire, je l’ai lue et relue (au début du livre de
l’Exode). Témoin des ‘corvées auxquelles étaient astreints ses frères’ en Égypte, Moïse
est saisi de compassion et s’interpose à la vue d’un Égyptien qui rouait de
coups un Hébreu, il le tue ; d’où sa fuite au désert avec cette compassion
qui le hante, et voilà que Dieu lui apparait dans un Buisson ardent, Dieu
qui résonne au fond de lui de ce même amour de miséricorde (‘hesed’) :
‘J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple en Égypte… Je suis résolu à
le délivrer de la main des Égyptiens et à le faire monter de ce pays
vers une contrée plantureuse et vaste… où ruisselle le lait et le miel…
Maintenant va, je t’envoie auprès de Pharaon pour faire sortir d’Égypte
mon peuple… » (‘Let my people go’… chanteront les noirs dans leur
esclavage….)
.
L’expérience première et fondatrice des Hébreux (puis d’Israël) c’est donc,
au positif, leur délivrance de la Servitude d’Égypte (la Shoah) par Dieu et
son Prophète Moïse, suivie de l’Alliance et de l’Exode au désert, jusqu’à
la Terre promise. Et la foi chrétienne s’est coulée sur ce modèle : la foi
en Dieu aimant et sauveur, incarné en son Fils.
* Les sacrifices. Dict. : sacrifier : ‘sacrum facere’, faire un acte sacré : offrir en sacrifice, sacrifier un animal à la divinité… se défaire avec peine de qq chose. Se sacrifier : s’offrir en sacrifice, se dévouer… C’est dire un geste de peine qui n’a sens positif qu’en générosité et quelque peu sacré. Sans cela c’est de la peine en vain. Toutefois qu’est-ce que cela devient dans une société sécularisée, et dès lors qu’il y a excès de peine (masochisme, dolorisme) ?
Aux lointaines origines des rites des sacrifices, il y a, depuis le
néolithique, le geste de l’agriculteur qui a été amené à redonner à la
terre une part (la meilleure part) des semences que celle-ci lui a donné
afin qu’elle redonne à nouveau. De même que dans la gestion du cheptel, il
était soucieux d’assurer les saillies à partir des meilleures bêtes pour le
renouvellement du troupeau. Et en mangeant des fruits de la terre, et tuant
et mangeant des bêtes de son troupeau, c’était avec la gratitude de ce qui
lui a été donné : donc en redonnant une part, en la sacrifiant ; afin que
tout rentre dans le cycle de prodigalité, fertilité et fécondité : tu m’as
donné, je te donne, tu me redonneras – semences et générosités, fécondités
qui répliquent celles de l’homme et la femme dans leur amour et leur
procréation.
Donnons quelques exemples tirés du monde biblique : l’ange arrêtant le bras
d’Abraham qui va sacrifier son fils, et lui montrant le bélier à la place ;
avec Abraham, l’Alliance de Yahvé signifiée par des animaux tranchés en
deux, et la coupure du prépuce, la circoncision signifiant cette
appartenance ; le sacrifice où tout l’animal est brûlé – « l’holocauste »,
le grand classique de la Bible ; le sacrifice où le sang a valeur
expiatoire ou consécration de l’autel, des prêtres… ; le rituel de la Pâque
en Egypte avec le sang de l’agneau sur les linteaux des portes épargnant la
maison ; le bouc émissaire emportant les fautes de ceux qui le chassent à
coup de pierres ; la victime pour les autres, tel Jonas jeté à la mer, et
sur ce modèle le Juste et surtout le ‘Serviteur souffrant’ d’Isaïe, figure
d’Israël…
Bref, plus il y a du dieu, du sacré, plus il y a du sacrifice, et de la
culpabilité, et du péché à résoudre (et des affaires pour le Temple). Moins
il y a du dieu, de la ‘grande illusion du dieu’, plus l’échange du don peut
se faire harmonieusement dans la relation aux autres… serait-ce jusqu’à
donner sa vie par amour des siens.
*
Voilà donc le peuple biblique où prévalait cette forme de rituel
sacrificiel souffrante et expiatoire, alors même que ce peuple était marqué
par la mémoire du malheur et sa dimension de victime (tels les pages
terribles du Serviteur d’Isaïe 50,4s et 52,13s), et alors même qu’il
endurait des épreuves et souffrances (la destruction de Jérusalem en -580
et l’Exil à Babylone, la 2ème Shoah). On imagine le ravage que
pouvait amener la mise en résonance de ces données : le malheur, la
souffrance, le sacrifice. Combien alors pouvait s’intérioriser la
souffrance de la victime innocente offerte à Dieu !
Plus encore, aux origines du Christianisme, c’est une spiritualisation de ce sacrifice de soi qui tend à s’établir, avec la mémoire de la Crucifixion et la Résurrection du Christ, et cela spécialement dans les deux rituels de base, le Baptême et l’Eucharistie – la plongée dans la mort du Christ pour ressusciter avec lui, et le repas d’action de grâce, avec le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. * Jésus répondait à ses détracteurs lui reprochant de faire bonne chère avec des pécheurs, et de violer le Sabbat : « Si vous aviez compris le sens de cette parole (parole de Dieu par son prophète Osée) : ‘ C’est l’amour que je demande, et non les sacrifices’ » . Des mots qui arrivent deux fois de suite dans l’évangile de Matthieu : 0sée 6,6 et Mat.9,13 + 12,7. (N.B. Je développe longuement ce message d’Osée dans‘Marie de Magdala, femme’ p.122-124. (Golias 2010) – ici, le terme ‘amour’ est hesed en hébreu, l’amour de fidélité à l’Alliance, la bonté, la miséricorde, la tendresse – la citation complète étant : ‘C’est l’amour que je demande et non les sacrifices, la ‘connaissance’ de Dieu et non les holocaustes’ (‘connaissance’ au sens de l’amour d’homme et femme… Et plus loin : ‘Revenez à Yahvé… et dites-lui : Enlèves nos iniquités, que nous retrouvions le bonheur, que nous t’offrions le fruit de nos lèvres’ (id la prière, en fait de sacrifices).
Le modèle des sacrifices en Israël s’amorce avec Abraham : à son époque,
selon l’usage primitif, il est sommé par Dieu de sacrifier son fils unique
Isaac, jusqu’à ce que l’ange lui retienne le bras et lui montre un bélier à
la place. Ce fut donc l’évolution, l’avancée du sacrifice humain au
sacrifice d’un animal du cheptel ; et c’est ainsi que s’engageait, jusqu’en
l’an 70 de notre ère (avec la destruction du Temple de Jérusalem), la
grande Tradition juive des sacrifices à ce Temple, avec ses excès et
dérives que nous avons liés au dolorisme.
Et nous voilà, 20 siècles plus tard, dans une société profondément
sécularisée, où ces histoires de sacrifice ne disent quasiment plus rien –
ces dolorismes d’une autre époque – et où, si l’on suit bien les évangiles,
l’adoration de ‘Dieu qui est esprit’, doit se faire, non plus en
quelque temple (Jean 4,21), mais ‘discrètement’, chacun au ‘secret de sa chambre’ (Mt 6,6) et ‘en esprit et vérité’
(Jean 4,23).
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