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Cette sculpture exprime clairement le plaisir d’amour qui gagne une femme
et l’enflamme en son intimité – ce bonheur intense qu’elle éprouve et
qu’elle gardera comme un commencement à jamais dans sa vie : de ces
moments uniques les plus sensibles et décisifs qui ne cesseront de couler
au vif de ses souvenirs. ‘Toutes les générations me diront bienheureuse’
chante Marie dans
son Magnificat, suite à l’étonnement de l’Annonciation – suite à ce moment
unique d’amour où elle conçut son enfant, le Messie attendu. (Car,
évidemment, sachons lui reconnaître ce vrai plaisir en son cœur et son
corps dans l’amour de son homme, et pas seulement sa rencontre virginale
par un Ange et le Saint-Esprit).
‘Toutes les générations me diront bienheureuse’ :
douze siècles plus tard, à Paris, c’est dans la ferveur de foi de centaines
et centaines de bâtisseurs de Notre-Dame, que fut créée et bâtie durant
deux siècles la merveille entre toutes de la cathédrale à son honneur –
beauté et vérité à la fois, tant de l’extérieur que dans l’intérieur.
Huit siècles plus tard, le 15 avril 2019, dans un incendie ravageur, toute
la toiture de cette merveille a été détruite. Longuement tout le soir,
devant nos écrans, une sidération fut ressentie par chacun – une émotion
profonde partagée, ‘communiée’ par le monde entier. Et voilà qu’aussitôt,
dès le lendemain, la restauration de ce patrimoine majeur a été engagée à
coup de centaines de millions de dons.
Cet élan de générosité cherche-t-il à rejoindre les commencements initiaux de cette merveille ? Quels sont-ils ? 1.
le plaisir d’amour d’une femme dans sa foi biblique et 2. la ferveur des
bâtisseurs de la cathédrale. Le premier dans ce bonheur que connut Marie de
Nazareth, lequel venait dans la reprise et l’apogée des commencements
d’amour qui attisèrent la ferveur biblique depuis Moïse, depuis Abraham… et
plus loin, depuis des millénaires d’humanité. Le second, au 13 ème
siècle à Paris, la ferveur de foi à créer et bâtir un
édifice de prière en l’honneur de Marie.
D’où la question aujourd’hui : dans notre 21ème siècle dominé
par le profit, qu’est-ce que pourrait être la reconstruction de Notre Dame
dès lors que prévalent les enjeux de patrimoine restauré et de profits
touristiques et où, par conséquent, il est presque vain de chercher à
sentir quelques vrais commencements ? C’est bien à ce contraste violent, à
cette perte, que nous aspirons à retrouver, à revivre, à comprendre la
vertu des commencements.
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« Les miracles véritables, qu’ils font peu de bruit,
dit Saint-Exupéry, les évènements essentiels qu’ils sont simples »
, telle la venue du Petit Prince dans son désert. Je dirais alors qu’il en
est de même des commencements : l’éclat de la banalité de nos échanges les
plus vrais.
Commencement : lorsque je suis aux prises avec un bloc de marbre brut sorti
du torrent, lorsque je cherche patiemment à correspondre à cette
donnée, et qu’en taille directe, sans dessin préalable, j’en attaque la
matière, en m’accordant ainsi à sa forme et ses veinages… - lorsque ma main
a l’audace de répondre, de correspondre au sauvage d’une nature déjà là –
ma main venant au monde… Ce faisant, évidemment, je pèse le risque de louper,
de rater cet accord avec cette donnée précieuse de marbre.
Mais n’est-ce pas là une excellente école à ces
‘évènements essentiels… et si simples’ que sont nos échanges avec
autrui ? Et le risque n’est-il pas du même ordre qu’avec le bloc de marbre
brut ? Se louper dans cette correspondance – si ce n’est que la matière
marbre est inerte, alors que le visage et l’écoute et la réponse de l’autre
sont vivants, interpersonnels, en ‘Je’ et ‘Tu’ – et voilà la parole entrée
en échange.
‘Au commencement est la Parole’
, le début de l’évangile de Jean : ‘In principio erat Verbum‘ –
telle est la création de Dieu (reprenant les premiers mots de la Genèse) :
voilà l’échange et la conversation qui s’entament (de même que le marbre
prend forme sous les ciseaux du sculpteur), voilà la vie qui se met à
couler, en fraîcheur de source – et me reviennent les paroles de Yahvé par
Jérémie :
‘Ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, pour se creuser des
citernes - citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau’
(Jer.2,13) – un leitmotiv de Jésus chez Jean.
Est-ce donc dire qu’ils seraient si simples les vrais commencements (comme
les évènements essentiels, comme les miracles faisant si peu de bruit) ? Si
ce n’est que, de même que les enfances, pour entrer ainsi en vie, ces
commencements sont à la merci de notre qualité de présence, notre qualité
de parole, de répondant en échange. Autrement dit, c’est nous qui faisons
œuvre de commencement dans nos vies – nous, en cette aptitude et sous cette
invitation de la vie à donner fraîcheur de source à chacune de nos
relations, et aller ainsi nos vies de commencement en commencement. Sans
cela tout reste banal et plat ; puisque c’est à nous de donner l’éclat de
la banalité de nos jours.
Il suffit d’être là, dans notre qualité de présence – de regard, d’écoute,
de parole, de correspondance, comme le sculpteur à son marbre : la création
de Dieu est livrée à notre merci.
On songe aux mots de Saint-Exupéry qui faisaient le 20 du mois d’avril : ‘
Nous avons connu, aux heures de miracle, une certaine qualité de
relations humaines, là est pour nous la vérité’.
‘Chaque jour peut être le début d’une nouvelle vie’.
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