20 novembre 2018 : l'uncité des êtres, leur unicité relationnelle
20 décembre 2018 : correspondre à la réalité ... ou n'en faire qu'à sa tête
20 janvier 2019 : éloge de l'attention
20 fevrier 2019 : attentif aux vécus, aux expériences d'humanité
20 mars 2019 : trinité
20 avril 2019 : qualité des relations humaines
20 mai 2019 : ça va en allant
20 juin 2019: artiste : se libérer / se retenir


 

 

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    Mes tous premiers pas en août 1940 : l’enfant lève son pied et son bras pour tenir l’équilibre de sa marche, projeté vers l’avant, le regard tranquille et décidé vers son père qui le photographie ; derrière lui, son ainé semble jaloux qu’il ose lui aussi sa vie.

    Eté 1950, même avancée tranquille de l’enfant lors d’un camp scout sur un plateau sauvage de Lozère, dans la nuit, seul, devant marcher 2km en direction d’une étoile.

    1970-71, dans une longue itinérance solitaire à la montagne d’Ubaye, hors des sentiers battus et aux risques de chemins de traverses, elle était précieuse pour moi la réponse de la vieille fermière voisine lorsque je lui demandais ‘Comment ça va ? : ‘ça va en allant’, disait-elle : ce ‘en allant’ qui ajoute de la volonté d’avancer et qui impulse ainsi cet allant s’accordant à la vie, bien plus que le simple : ‘ça va’.

    Lever le pied, être en déséquilibre, se projeter vers l’avant : telle l’écriture en italique – inclinée dans la progression des lettres – telle ma sculpture, ma Jeanne d’Arc : ni statuaire, ni verticale, mais dans une dynamique.

    Platon, selon Jankélévitch, disait du ‘vagabond Amour’ :‘Celui qui va’ (‘Ites’) – l’Amour, ce ‘chemineau d’un éternel chemin’. Et on sait bien qu’ailleurs le Taoïsme préconise ‘la Voie’ : ce qui marche pour favoriser la vie.

    Et nous voilà aussi aux côtés du père Abraham qui ne cesse d’aller, l’hébreu (le ‘migrant’), ‘l’étranger’, l’errant, le forain…, grand nomade avec ses troupeaux ayant entendu de son Dieu : ‘Marche en ma présence, et sois parfait’ (Gn 17,1) Soit donc une vérité de sa prière qui n’est pas d’abord une immobilité recueillie, mais une marche, un allant qui s’accorde à Dieu qui est passage - tel que le prophète Elie l’éprouve lorsqu’il est venu le rencontrer au Sinaï (I Roi 19,11) – tel Jésus, ‘chemineau d’un éternel chemin’, ne cessant d’aller par les routes et hospitalités, rejoignant ses deux disciples qui se rendaient à Emmaüs pour débattre longuement avec eux, sa parole qui avance et s’accomplit au fur et à mesure qu’elle s’énonce, son allure libre comme le vent – cette présence de Dieu qui ne cesse d’être avenante, se révélant à Moïse sous son nom : ‘Je suis’ - présence accompagnante et agissante avec les siens : ‘Je suis qui je serai’ (Ex 3,14). Ce que dira Jean :‘Parole qui s’est faite chair, Il a planté sa tente (de nomade du désert) parmi nous’ (Jn 1,14)

    (Hier, en faisant visiter mon atelier, mes centaines de sculptures me semblaient là, immobiles, comme mortes, depuis si longtemps. Mais non je les sentais vives comme autant de ces ’cailloux blancs’ de l’Apocalypse (2,17) portant gravé mon nom – ou ces petits cailloux que l’enfant, en s’enfonçant dans sa forêt, sa montagne, a égrenés : autant de paroles s’étant faites vives, pas après pas).

    Revenons à cet enfant et ses premiers pas : regardez le bien sur la photo. Il se bascule vers la droite, en levant le pied et le bras gauches. Un déséquilibre qu’il ose et franchit. Le dictionnaire dit : « le pas est l’action de faire passer l’appui du corps d’un pied à l’autre, dans la marche ».

    Pas à pas : ce déséquilibre du corps que lance et surmonte heureusement l’enfant, son avancée en dévers du vide, son suspensen interrogation : marcher, c’est ressentir l’inachevé de notre condition humaine – l’inassouvi du fait de la mort. C’est Abraham, très âgé mais gardant encore espoir d’avoir une descendance (laquelle lui procure sens et suite à sa marche)… jusqu’à ce que Dieu la lui donne, ‘plus nombreuse que les étoiles du ciel’. C’est donc Abraham, comblé de désir, s’avançant au Ciel sans fond de Sara, son épouse.

    Et voilà donc l’enfant d’Abraham allant l’entrain et l’impulsion de la vie, allant les pas de son père, de sa mère et des siens – et ainsi la chaine sans fin des générations. Marcher, tel l’enfant de la photo, c’est reprendre et poursuivre les impulsions de pas acquises des siens – et ainsi, en grandissant, tous les allants de vie auxquels il se fait attentif et qui l’entrainent – clairement, toutes les‘qualités de relations humaines’ qu’il a ‘connues aux heures de miracle’ (cf. 20 du mois précédent) et qu’il sait recueillir dans son souvenir, lesquelles alors sont pour lui comme le ‘pain et la cruche d’eau’ que l’ange donna à Elie dans sa fuite épuisée et découragée au désert, grâce à quoi il va marcher encore 40 jours, jusqu’à la Montagne de son Dieu (I Roi 19,8).

    Mai 2019 : à 80 ans, aux fatigues de l’âge, le pas plus lent, l’équilibre moins assuré, mais reste la gratitude de ma vie à l’andante de mes pas et battements de mon cœur… ‘et les pas que j’entendais dans ma chambre d’enfant sont ceux-là même qui retentissent d’étoile en étoile’ (les mots de Tagore (OL43), autre grand marcheur devant l’Eternel) - en écho des mots de consolation d’Isaïe, repris par l’Evangile : ‘Qu’ils sont beaux sur la montagne les pas du porteur de ‘bonne nouvelle’ qui annonce la paix...’ (Is 52,7)

    Revenir à cet enfant…