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20 juin 2020 : 'Là où on ne peut pas aller plus loin' : les mégalithes"
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toi et moi, marbre 2006 h19cm
ce marbre, précieux entre tous, m'a été volé à l'atelier à l'automne 2015
une récompense reviendra à qui me le rendra

   Les mégalithes d’Europe, érigés entre 4500 et 2500 av.JC (donc bien avant les Celtes), bordent l’Atlantique depuis l’Ecosse, l’Angleterre, la Bretagne et l’ouest de la France, l’Espagne, jusqu’au Maghreb en bord de Méditerranée – ces ouvrages résultent donc, sauf au Maghreb, des grandes migrations des peuples de la préhistoire, venus d’Afrique et ayant peuplé et traversé l’Europe, jusqu’à venir finir sur l’océan.
    D’où cette conclusion étonnante dans le Numéro du Point sur ‘L’odyssée de Sapiens (décembre 2019) : « Les mégalithes sont érigés tout au long de l’Atlantique, justement là où on ne peut pas aller plus loin »

    J’essaie de comprendre. Parmi ces mégalithes, il y a des menhirs, dont les célèbres alignements de Carnac, et il y a surtout lesdolmens du genre ‘maisons des morts’, couvertes d’une pierre horizontale (Stonehenge, la Roche aux fées…), et le plus souvent protégées dans un tumulus, un amas de pierre et de terre (Gavrinis).
    Avec ces mégalithes, on devine de grandes célébrations de la mort, mais surtout, avec ou sans la mort, de grandes célébrations de la Mémoire des grands (telles les Pyramides d’Égypte et les divers Mausolées – telles les Cathédrales gothiques pour les évêques des grandes villes au Moyen-Âge, tel Versailles pour Louis XIV, ou la ‘Pyramide du Louvre’ pour François Mitterrand….
    Mais puisque ces mégalithes sont l’œuvre d’hommes du Néolithique, ce qui m’interroge, c’est qu’ils soient bien postérieurs aux grandes migrations de leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs – c’est donc qu’ils ne soient plus l’œuvre de migrants, mais de sédentaires, depuis longtemps fixés à leur terre par l’agriculture et l’élevage. Serait-ce dire alors, en bordure de l’océan, que ces sédentaires seraient encore habités de la nostalgie de grandes avancées nomades – si bien que la vue de la mer (‘là où on ne peut pas aller plus loin’) les imprègne de cette nostalgie, et leur fasse ainsi prendre conscience de la finitude de leur vie, de la mort et de quelque au-delà… Autrement dit, je serais enclin à penser que leur condition nomade passée, acquise sur des millions d’années, serait ainsi devenue leur habitude invétérée, leur prurit d’avancer encore et encore – soit donc un nomadisme profondément vivace, malgré 5-6000 ans de sédentarité néolithique, parce qu’ancré en eux sur des millions et millions d’années… - et j’ajouterais, en ce sens, du fait de leur relationnel homme/femme qui les hante de désir d’inconnu et d’au-delà à découvrir – éternellement en avancées et découvertes, éternels migrants.

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    C’est ainsi que me reviennent les mots de Saint-Exupéry, parlant de ses nomades ‘qui cherchent la mer au pas lent de leur caravane, et qui ont besoin de la mer. Et qui, lorsqu’ils arrivent sur le promontoire et dominent cette étendue pleine de silence et d’épaisseur… respirent l’âcreté du sel et s’émerveillent d’un spectacle qui ne leur sert à rien dans l’instant, car on ne saisit pas la mer. Mais ils sont lavés dans leur cœur de l’esclavage des petites choses… Alors ils prennent des provisions d’étendue et rapportent chez eux la béatitude qu’ils y ont trouvée. Et la maison est changée de ce qu’ii existe quelque part la plaine au lever du jour et la mer. Car tout s’ouvre sur plus vaste que soi. Tout devient chemin, route et fenêtre sur autre chose que soi-même » (Citadelle XIX)

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    Et comment alors ne pas songer à Moïse, au vieillard Moïse, qui arrivé au bout de son Exode au désert, à bout de ses forces et au seuil de sa mort – Moïse qui, de sa montagne, ne peut que contempler la ‘Terre promise’ sans plus avoir la force d’y entrer, et laissant donc à Josué la charge d’y conduire son peuple (les ‘hébreux’ - littéralement : les ‘migrants’ – depuis leur père Abraham, le grand nomade), pour entrer et conquérir cette ‘Terre promise’ – c’est-à-dire (concrètement, depuis 3000 ans) s’installer, se sédentariser – leur ‘néolithisme’. Et je songe alors à cette tension qui n’a cessé de poursuivre le peuple d’Israël par la voix de ses prophètes jusqu’à Jésus (que n’en est-il aujourd’hui ?), lui rappelant que ses jours bénis ayant fondé sa Loi au Sinaï et sa véritable identité (hébreux=migrant) étaient bel et bien lors de son Exode au désert, son nomadisme – tels ces mots de Yahvé à Israël par son prophète Osée : « C’est pourquoi je vais la séduire et la conduire au désert, et parler à son cœur… Là elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au temps où elle monta du pays d’Egypte » (Os 2,16). Et Jésus de même, disant de lui : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête » (Mt 8,20)

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    J’ose ajouter : de même que ce sont des millions d’années d’habitudes qui ont invétéré en nous notre nomadisme, de même, je serais enclin à penser que, serait-il tard venu, c’est le ‘lourd’, le démesurément ‘lourd’ du mégalithisme de nos ancêtres venu en réponse à ‘là où on ne peut pas aller plus loin’ – leurs chefs d’œuvre de réalisme de la mort - les Stonehenge et Roche aux fées, les Mausolées, les Pyramides et les Cathédrales, ND de Paris….. – c’est grâce à ce ‘lourd’, à ce mégalithisme que nous sommes empreints de gravité à la pensée de notre finitude, de notre mort. Et comment ne pas y joindre et y faire concourir les Picasso de la Préhistoire, avec Chauvet, Lascaux, Brassempouy… avec la question qui nous hante : depuis quand peignent-ils sur les parois des grottes et pourquoi ont-ils commencé à sculpter des objets – dont ces femmes séduisantes de beauté ?

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    Et pourtant ? Et pourtant, on voit bien, avec ces mégalithes, la contradiction des humains : de ces éternels migrants ‘ne pouvant aller plus loin’, et qui, au lieu de prendre alors quelque légèreté d’aspiration d’infini et d’envol, ont besoin de ‘faire du lourd’, du très lourd en monuments mémoriaux – comme autant de ‘tour de Babel’ pour ‘atteindre le ciel’.
    Car ou bien c’est une fin de vie en discrétion, humilité, légèreté – tels les oiseaux qui se cachent pour mourir, ou une fin de vie en mausolées immortels : ‘surtout ne m’oubliez pas’.
    Autrement dit : ou bien s’accorder au mieux à l’espérance d’une vie éternelle qui ne saurait être que présence d’amour, ou bien, par défaut, faire dans le lourd.
    Jésus disait : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids, le Fils de l’homme n’a pas une pierre où reposer sa tête » (Mt 8,19) – lui qui parlait de la mort en accomplissement de vie, et n’accordait nul intérêt aux tombes et enterrements.

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    Comment tout cela ne résonnerait-il pas en moi d’une sagesse à vivre qui me gagne sereinement sur la fin de mes jours ? Car de ma vie il y eut les jours d’activité et de force de l’âge, les jours d’avancées et de projets, les jours de traversées de risques et d’épreuves, et voilà qu’avec l’âge, mes pas se font plus lents et courts, que mes projets s’amenuisent et que, par fatigue, se réduisent de plus en plus les distances de mes déplacements et de mon petit univers de relations (1), sauf l’amplitude croissante de mes proches disparus qui m’habitent de leurs présences aimantes au recueillement de mon souvenir.
    Suis-je alors comme le vieux Moïse sur la montagne, ne pouvant que contempler la ‘Terre promise’ où il n’entrera pas ? Ou suis-je comme ces nomades du désert arrivés en vue de la mer et ‘ prenant des provisions d’étendue et rapportant chez eux la béatitude qu’ils y ont trouvée’ ? Sans doute oui, mais le désir d’avancer et de découvrir encore et encore est toujours vif, et me demeure mon ‘nomadisme profond’, même si je sens la proximité de la mer, la finitude de ma vie ; sachant, d’évidence, que me revient une sagesse à me contenter de tout ce passé d’avancées et de bénédictions qui me furent données (telles mes sculptures), et de savoir peu à peu me taire – me terrer - bientôt enterré. L’avancée de la vie étant là, tout simplement, jusqu’à cet océan… là où on ne peut pas aller plus loin.

(1) De telle sorte que me laissent songeur et sans aucune envie, tous ceux qui, arrivés dans leur vieillesse, leur retraite, leur inactivité, leur oisiveté… s’empressent de meubler celle-ci en se payant des voyages – n’ayant qu’à s’occuper par des succédanés de marches, et des ‘par défaut’ d’avancer, autrement dit des migrations à bon compte (serait-ce à contre-courant des vrais migrants) – tel le luxe moderne du tourisme qui se généralise aujourd’hui, véritable cancer, et telle la foule des déplacements en bagnoles qui, elles-aussi véritable cancer, nous envahissent.